Parmi les articles de la Constitution tunisienne du 26 janvier 2014 qui ont fait l'objet de débats houleux, il y a celui relatif à la liberté de conscience. Certains y voient- à juste titre d'ailleurs- une grande victoire de la modernité. En effet, cet article énonce que « l'Etat est gardien de la religion. Il garantit la liberté de conscience et de croyance et le libre exercice du culte. Il est le protecteur du sacré, garant de la neutralité des mosquées et des lieux de culte par rapport à toute instrumentalisation partisane. » Seulement, voilà que quelques mois après l'adoption de la Constitution, la liberté de conscience telle que garantie par l'article 6 se trouve mise à l'épreuve par Ramadan ! Pour la quatrième année consécutive, après celles de 2011, 2012 et 2013, des « descentes musclées » ont été opérées dans des cafés et restaurants pour signifier à ceux qui les tiennent l'obligation de s'abstenir de servir. L'argument juridique invoqué est principalement une note circulaire vieille de 33 ans, dite « circulaire Mzali de juillet 1981». A l'époque, cette note circulaire n'a pas manqué de provoquer la réaction des intellectuels qui y ont vu une menace à la tolérance. Dans les conditions politiques d'aujourd'hui, cette note circulaire est tout simplement anticonstitutionnelle et, par conséquent, son abrogation devient plus qu'urgente. Quel que soit l'argument religieux ou sociologique que les uns et les autres invoquent, pour justifier la fermeture des lieux de restauration, il y a toujours une mise ne crise d'un principe fondamental et d'un droit acquis que protège la Constitution : la liberté de conscience et la liberté religieuse. Celui ou celle qui fait le choix de ne pas pratiquer le jeûne ne cherche en aucun cas à l'imposer à personne. C'est donc un choix personnel substantiel à la liberté de conscience telle que garantie par la Constitution du 26 janvier 2014. Et de ce fait, il ou elle le droit de disposer de lieux de restauration où ils y auraient des professionnels prêts à fournir à boire ou à manger. Toute autre démarche quel que soit l'argument mobilisé est de nature à mettre négativement à l'épreuve un aspect fondamental des droits de l'homme et provoquer un déficit de démocratie. Toute autre démarche serait interprétée comme l'expression d'un moralisme totalitariste d'un pouvoir censé être protecteur selon les mots de la Constitution de « la liberté de conscience». Et ça ouvre la voie à ceux qui se sont autoproclamés « défenseurs de l'Islam » de taxer ceux qui tiennent à leur liberté de conscience d' « ennemis de l'Islam », de « satanistes » qui menacent l'Islam et qui méritent tous les châtiments. L'élite intellectuelle et politique ainsi que les médias sont vivement appelés à rester vigilants quant à tous les manœuvres visant les restrictions des libertés individuelles et collectives dont la clé de voûte est la liberté de conscience. Ne banalisons pas donc pas les agissements de ceux qui croient êtres « les gardiens du temple » pour terroriser les gens ou de ceux qui usent de la force publique pour leur dire qu'ils ne sont pas maîtres de leur liberté de conscience. Dans les deux cas, il s'agit toujours d'une atteinte au droit de l'homme et à sa liberté individuelle. Désormais le faux combat entre le sacré et le profane n'a plus de sens. Ces notions appartiennent à un paradigme qui n'est pas celui des droits de l'homme et de l'Etat de droit. Le paradigme auquel appartient la liberté de conscience telle que consacrée par la Constitution tunisienne du 26 janvier 2014, n'est en aucun cas souffleur de conscience et il fait de chaque homme un compagnon lumineux pour chaque homme qui reprend à son compte l'idée de René Char selon laquelle « l'inaccompli bourdonne d'essentiel». Dans ces conditions l'avènement du mois saint de Ramadan est une occasion idoine non pas pour mettre en crise la liberté de conscience mais pour mettre à l'épreuve celui ou celle qui réfléchit sur ce que devrait être une spiritualité saine accomplie avec un haut esprit de piété et de comportement humaniste pour acquérir la conviction de la valeur absolue de toute personne humaine et construire le vivre ensemble sur la base de cette conviction fondamentale. Tout le reste n'est qu'une mauvaise mise en scène.