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Liberté de conscience, attribuée à l'individu ou à la communauté?
Opinions
Publié dans La Presse de Tunisie le 21 - 06 - 2013


Par Mounir KCHAOU*
L'inscription du droit à la liberté de conscience d'une manière explicite dans la dernière version du projet de la Constitution tunisienne est un fait important qui mérite d'être souligné. Il est d'autant plus important qu'il représente une évolution par rapport à la Constitution tunisienne de 1959 qui, dans son article 5, s'est contentée d'une formulation alambiquée dans laquelle il est stipulé que la République tunisienne se porte garante de l'inviolabilité de la personne et de la liberté de culte. D'autre part, il vient rassurer, ne serait-ce que partiellement, comme nous allons l'expliquer, des militants des droits de l'Homme, des personnalités politiques et des ONG nationales et internationales ayant exprimé des craintes de voir cette liberté fondamentale, énoncée de manière incomplète, susceptible d'ouvrir la voie, sur le plan juridictionnel et législatif, aux interprétations les plus restrictives à son endroit.
Certes, il est peu probable de voir s'instaurer , en ce début du XXI siècle en Tunisie ou ailleurs, comme en Egypte ou en Libye par exemple, des régimes théocratiques pratiquant l'inquisition au lieu de la tolérance, et la persécution religieuse au lieu de la libre pensée. Mais les risques d'introduction, dans les nouvelles constitutions en passe d'être rédigées dans la foulée du printemps arabe, de clauses ou de dispositions restrictives posant des limites à la liberté de conscience sont sérieux. De ce point de vue, l'énonciation de façon explicite de l'engagement de la République à respecter la liberté de conscience, dans son acception générale, constitue un point positif.
Dans ce qui suit, nous essayerons d'attirer l'attention du lecteur sur trois points qui nous semblent importants au sujet de cette inscription du droit à la liberté de conscience dans le draft de la nouvelle Constitution. Le premier concerne les limites qui, malheureusement, continuent à être assignées à l'exercice de la liberté de conscience dans le projet de la Constitution. Le deuxième a trait à la dimension individuelle inhérente à la notion de liberté de conscience. Le troisième concerne le droit à l'objection de conscience, qui n'est pas reconnu dans le projet de la Constitution bien qu'il soit la conséquence logique de la liberté de conscience.
Satisfaction et bémol
Il faut en effet se féliciter de la bonne réactivité des membres de la commission des droits et des libertés de l'Assemblée constituante au débat public, et de leur consentement à mentionner explicitement le droit à la liberté de conscience. Cependant, cette liberté, aussitôt posée dans l'article 6 du projet de la nouvelle Constitution, s'est trouvée limitée dans le même article par l'attribution à l'Etat du rôle de protecteur du sacré. La liberté de conscience n'est, dans cette mesure, garantie que lorsqu'elle n'entre pas en collision avec des formes ou des manifestations du sacré. La voie est ainsi laissée ouverte à une qualification pénale des formes d'exercice de la liberté de conscience et de la liberté d'opinion, comme la liberté artistique ou la liberté académique, pourtant énoncées et inscrites dans d'autres articles du projet de la Constitution. Cette qualification pénale ne peut être que liberticide, car il est difficile de s'entendre, dans une démocratie, sur une liste de croyances, de lieux, de valeurs ou de symboles pouvant légitimement prétendre à un statut sacré. La critique des croyances communes, qu'elles soient religieuses ou non-religieuses, est-elle une forme d'exercice de la liberté de conscience ? Ou bien se trouve-t-elle interdite du fait que ces croyances sont frappées du sceau de la sacralité ? L'ambigüité qui transparait au travers de l'article 6 est de nature à conférer au législateur, au juge constitutionnel et au juge judiciaire, un pouvoir discrétionnaire fort étendu à ce sujet. Ces derniers vont décider, selon leurs choix idéologiques, à laquelle des prérogatives accordées par cet article à l'Etat, il faudrait donner la préséance. Ils repousseront les limites de la liberté de conscience, s'ils sont des libéraux qui privilégient une interprétation extensive de la liberté de conscience, et ils en réduiront le champ s'ils sont des conservateurs qui font de la protection du sacré et de la préservation de l'ordre public un impératif qui prime sur l'exercice de la liberté de conscience. Le droit à la liberté de conscience risque, dans cette mesure, d'être fortement réduit.
En effet, comme le souligne le philosophe constitutionnaliste américain Ronald Dworkin (dans son livre Taking Rights Seriously), à chaque fois qu'un pouvoir discrétionnaire étendu est attribué aux juges, les droits individuels risquent de ne pas être pris au sérieux.
La dimension individuelle de la liberté de conscience
Malgré cette lacune, il n'en demeure pas moins vrai que la liberté de culte et de croyance est en passe d'être inscrite dans la Constitution tunisienne et également dans les nouvelles constitutions des pays du printemps arabe. Néanmoins, cette liberté n'est pas forcément reconnue à l'individu en tant que personne morale indépendante. Les déclarations du président égyptien à la chaîne américaine CNN nous permettent de prendre la mesure de l'inflexion collectiviste et communautariste que prend la notion de liberté de conscience dans les milieux conservateurs et religieux. En effet, réagissant aux critiques des associations des droits de l'Homme et des ONG de défense des libertés religieuses qui, contrairement à leurs attentes, ont vu la situation de la communauté copte se dégrader davantage après la révolution, en raison des innombrables manquements de l'Etat égyptien à sa responsabilité dans la protection des lieux de culte coptes, le président égyptien Mohamed Morsi s'est engagé solennellement, sur la chaîne américaine CNN, à défendre et à protéger les droits de la communauté copte et à veiller à ce que ses membres puissent préserver leur mode de vie, selon les lois internes de leur communauté, et notamment en ce qui concerne le respect de leur liberté de culte et de croyance et les questions relevant de la famille et du statut personnel. Le point de vue du président Morsi résume, à notre sens, la conception que se font certains parmi les partis politiques d'inspiration religieuse de la liberté de conscience. Celle-ci n'est pas reconnue à l'individu directement, mais elle est réciproquement concédée par des communautés religieuses ou accordée par la majorité religieuse à des groupes religieux minoritaires. De ce fait, les individus ne sont pas envisagés par l'Etat comme des citoyens investis de certains droits moraux absolus, dont la liberté de conscience, mais en tant que membres de communautés religieuses reconnues, parce qu'il existe en Egypte des communautés religieuses non reconnues et même persécutées, comme les bahaïtes. Dans cette perspective, la liberté de conscience se trouve dépouillée de sa dimension individuelle et personnelle pour devenir un principe régissant les rapports entre communautés religieuses.
Afin de mieux saisir l'importance de cette dimension personnelle de la liberté de conscience, soulignons tout d'abord que cette liberté, qu'on exprime parfois dans des termes similaires comme «la liberté de foi» ou «la liberté religieuse», est une catégorie d'un genre plus général qui est la liberté d'opinion. Elle a d'abord le caractère d'une liberté individuelle, proche de l'intimité personnelle de chacun, puisqu'elle suppose une adhésion intellectuelle à une croyance, qu'elle soit religieuse ou séculière, et un choix libre qui engage la volonté de la personne et sa responsabilité. Mais elle a aussi le caractère d'une liberté «collective», puisqu'elle ne se réduit pas à l'acte de foi ou de croyance, ne se cantonne pas dans les limites de la subjectivité consciente, mais qu'elle donne nécessairement lieu à une «pratique» se déployant à l'extérieur de la subjectivité individuelle et impliquant la participation des autres. La liberté religieuse exige, à ce titre, la garantie du libre exercice des cultes.
Liberté de conscience et objection de conscience
Ce caractère dual de la liberté de conscience renvoyant, d'un côté, à l'intimité individuelle dans un acte d'adhésion et de choix libre et, d'un autre côté, à une liberté s'exerçant collectivement et dans un espace public non politique, a été souvent source de malentendu. Un Etat proclamant haut et fort, par exemple, son engagement à respecter la liberté de conscience, mais qui interdit aux individus le droit de manifester leur foi à l'extérieur, de diffuser leur croyance ou de l'exercer collectivement, est un Etat qui empiète sur une liberté fondamentale de ses citoyens. Sera également considéré comme un Etat qui empiète sur la liberté de conscience celui qui contraint ses citoyens à certaines pratiques, comme par exemple participer à une guerre, alors que leur conscience morale la réprouve ou leur foi religieuse la leur interdit, comme le cas des Amishs aux EU. L'Etat ne peut donc reconnaître pleinement la liberté de conscience que s'il admet que les motifs religieux et moraux peuvent justifier à l'échelle publique un comportement qui déroge quelque part aux règles conventionnelles. C'est pourquoi le droit à l'objection de conscience, évoqué dans l'article 8 du Pacte international des droits civils et politiques de 1966, devient une suite logique de la promotion de la liberté de conscience au rang de disposition constitutionnelle dans notre pays. La Constitution allemande est un exemple de clarté à ce sujet. Nous trouvons, en effet, dans cette Constitution, une formulation claire de l'articulation entre les trois libertés: de culte, de conscience et de croyance. Dans l'Alinéa 3 du même article, le droit à l'objection de conscience est inscrit dans la Constitution puisqu'il est mentionné qu'il ne sera pas autorisé dans la République allemande de soumettre quelqu'un au service militaire, malgré sa conscience.
La liberté de conscience ne se réduit donc pas à la liberté de conscience religieuse et induit une dimension plus large de la vie psychique et morale de l'individu. Par ailleurs, le droit des communautés religieuses d'être maîtresses de leurs activités et de disposer de la liberté de s'organiser doit être reconnu comme un droit dérivé d'un droit fondamental à la liberté de conscience, tant que ces communautés se conforment strictement à cette disposition constitutionnelle et reconnaissent le droit de leurs membres à la liberté de conscience personnelle, y compris celui de la quitter ou de remettre en question ses croyances communes, de les critiquer, sans pour autant qu'ils soient dépossédés des droits dont ils disposent en tant que membres d'une communauté quelconque. L'exigence de cohérence conduit aussi à mentionner le droit à l'objection de conscience car personne, dans une démocratie, ne peut être contraint à prendre part à une guerre que sa conscience religieuse ou morale désapprouve. Or, aucune mention n'est faite de ce droit dans le projet de la nouvelle Constitution de notre pays.
*(Professeur d'enseignement supérieur)


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