L'entretien accordé par le Président de la République, Béji Caïd Essebsi à la chaîne de télévision Al-Arabiya, et diffusé vendredi 25 décembre 2015 en fin de journée me semble mériter une attention particulière pour ce qui peut être considéré comme un bilan pluridimensionnel : d'abord bilan des relations tuniso-saoudiennes ; bilan aussi de la diplomatie tunisienne au sens large ; bilan du gouvernement Habib Essid et finalement bilan de Nidaa Tounès. Dans une perception générale de l'interview constituant aussi une sorte de bilan de BCE, ce dernier a réitéré, comme prévu, son lien filial, à la fois historique, politique et civilisationnel, à Bourguiba. Il en serait le fidèle disciple et l'authentique successeur, moins pour des considérations personnelles que dans l'édification d'un Etat moderne fondé sur la spécificité tunisienne et sur l'interaction internationale, pacifiste et constructive. Béji Caïd Essebsi a souligné, on ne peut plus clairement, la continuité et la complémentarité du processus historique ayant fait cheminer la Tunisie de l'époque coloniale aux temps présents. On comprend alors que son discours et sa politique de réconciliation nationale relèvent plus d'une philosophie politique propre à un état d'esprit tunisien, que de quelque opportunité de circonstance ou de connivence. De ce point de vue global, émane le développement portant sur les relations tuniso-saoudiennes, tout marqué d'un savoir-faire diplomatique de longue expérience, contrastant avec toute la diplomation tunisienne de l'après 2011, même celle de 2015, très souvent improvisée, hésitante et mal coordonnée au sein même du ministère de tutelle. D'aucuns parleraient de complaisance, voire d'hypocrisie, à l'égard d'un régime souvent considéré comme une plaie profonde dans la géopolitique arabe. Il serait peut-être bon de ne pas se ruer précipitamment sur un tel avis, au vu de l'incontournable rôle géostratégique et même civilisationnel de l'Arabie Saoudite. Je pense, en effet, que si le royaume réussi à faire le bon saut dans le réformiste moderniste, le visage du monde arabe en serait changé et peut-être aussi la configuration des relations internationales. C'est pourquoi, me semble-t-il, BCE a plusieurs fois insisté sur les deux décisions fondatrices de la politique de Bourguiba, restées deux constantes de son Histoire, quel que soit le régime en place, en l'occurrence les droits de la femme et la gratuité de l'enseignement. Cela n'a pas empêché le Président de la République de revaloriser les relations de son pays avec l'Europe et l'Amérique, et de montrer qu'il n'y a aucune contradiction à cultiver, de part et d'autre, la diplomatie coopérative et solidaire. Dans le même état d'esprit, l'importance de la solidarité tuniso-algérienne a été mise en valeur, malgré la divergence des deux pays sur le front islamique de lutte contre le terrorisme, conduit par l'Arabie. C'est, peut-on dire, une vraie feuille de route de la diplomatie tunisienne qui est tracée, d'autant plus que constitutionnellement elle est bien du ressort de président de la République. Sans doute aussi dans le respect de la répartition des prérogatives de chacun, le président s'est-il contenté d'apporter son soutien tacite au gouvernement sans se hasarder à des analyses sectorielles qu'on lui aurait reprochées. Tout au plus a-t-il articulé les difficultés conjoncturelles actuelles à la mise en marche imminente d'un plan de restructuration intégrale sur les plans économique et social. Quant à Nidaa Tounès, il en a dit ce qu'on sait déjà, mais avec une note d'optimisme, d'abord du fait qu'il n'y a aucun risque constitutionnel pour le pouvoir, même si le parti se scinde en deux autres, ensuite parce qu'il reste confiant dans l'avenir de « ses poulains » qui finiraient, le temps venu, de retrouver la raison commune. De fait donc, le développement fondamental à portée diplomatique large, dans cet entretien, nous rappelle que du temps de fin de pouvoir de Bourguiba, certains disaient : « Dommage qu'il ne se soit pas consacré à la tâche diplomatique ! ». D'aucuns diraient-ils la même chose de BCE, lui qui a bien accompli cette tâche par le présent comme par le passé. Mais, à la lumière de la nouvelle constitution et de la manière de la négocier dans l'exercice du pouvoir, aujourd'hui, BCE ne peut-il pas conforter la plus-value démocratique que Bourguiba n'avait pas su, pu ou voulu donner à son régime ? Il paraît avoir éludé cette question finale, à ce propos, sans doute par égard à son « maître en politique » ou par modestie ; c'est pourtant une question bien actuelle.