La Tunisie va mal. C'est une évidence. Encore une fois, on touche le fond. Tel un serpent de mer, la crise des institutions revient de plus belle. Crise des partis, des coteries et des hommes aussi. Crise de légitimité généralisée de surcroît. Au bout du compte, il a fallu recourir au couvre-feu pour juguler in extremis un processus de pourrissement vicieux. Et rien n'est encore gagné. Pourtant, quiconque a des yeux pour voir constatait les signes avant-coureurs de l'enlisement profond. Hormis nos hauts responsables politiques sur-investis dans les arcanes de la politique politicienne et des querelles de chapelles. Il va de soi que, comme dit l'adage, qui a les avantages a les charges et les risques. Et les avantages, ce sont les dignitaires de la politique qui en bénéficient. Mais il en est des politiciens aujourd'hui comme des clercs jadis que Julien Benda fustigeait magistralement pour leur «trahison». Majorité et opposition s'abîment dans des querelles oiseuses. C'est un peu le syndrome des Byzantins, qui discutaient âprement du sexe des anges tandis que l'ennemi était sous les remparts. Les Tunisiens sont angoissés, désespérés même. Ils vous abordent fiévreusement et vous interrogent à brûle-pourpoint: «Comment va la Tunisie ? Est-ce qu'on s'en sortira ?» Outre le désespoir dû à l'économie qui stagne et au social qui s'effrite, il y a les désillusions des diplômés du supérieur, l'angoisse du lendemain, un sentiment lancinant démocratiquement partagé. La politique, les gens en ont marre. Ce qui importe, c'est la relance économique et sociale, les créations d'emplois, les investissements, la reprise du tourisme. Sur ce plan, le gouvernement de Habib Essid fait du surplace. Aucun projet structurant d'envergure n'a vu le jour. Le topo n'a guère changé aux yeux de larges franges de l'opinion, dans les régions de la Tunisie profonde et aux abords des grandes villes côtières surtout. Désabusés, les jeunes manifestent leur désarroi et leur colère. Plusieurs parties essaient d'instrumentaliser le mouvement à des fins scabreuses et douteuses. Il en est de la nébuleuse terroriste comme des réseaux mafieux et de contrebande en la matière. Ajoutons-y les mauvais perdants, les blessés des dernières élections. Soit un faisceau de manipulateurs tapis dans l'ombre et qui essaient de surfer sur l'exaspération manifeste des gens pour jeter de l'huile sur le feu. Ceci ne saurait cependant excuser cela. Les dernières passes d'armes intramuros à Nida Tounès, principal parti de la coalition gouvernementale, ont approfondi les failles et les blessures. La présidence de la République, le gouvernement, le Parlement s'y sont retrouvés associés. Et y ont laissé des plumes en termes tant d'image que de crédibilité. Habib Essid, chef du gouvernement, est dans la tourmente. Il compte investir les plateaux médias ces deux jours pour s'expliquer. Ou tenter de se justifier. Mais c'est peine perdue. Il gagnerait à remanier son cabinet s'il ne veut se voir remettre le tablier à brève échéance. Et il est urgent qu'il maintienne les membres du gouvernement loin des luttes des coteries partisanes. Il faudrait aussi qu'il prenne de la distance vis-à-vis du palais présidentiel. S'en tenir à la lettre et à l'esprit de la Constitution. Le président Béji Caïd Essebsi privilégie le présidentialisme de fait. Ce faisant, il confirme une vieille pulsion. Tout homme qui dispose d'un pouvoir est porté à en abuser comme l'a si bien écrit Montesquieu. Mais aussi chacun doit défendre bec et ongles son domaine réservé et son territoire assigné. C'est la dernière ligne droite. Ça passe ou ça casse. La nature est parfois cruelle. Le gouvernement doit courir deux fois plus vite pour rester à la même place. Les solutions sécuritaires sont ultimes. Et la politique est sans pardon.