La crise est consommée. Partout, ou presque. La classe politique étale au grand jour ses tares et ses abcès de fixation. Son inconsistance aussi. Aux dernières nouvelles, la discorde a élu ses quartiers un peu partout. L'opposition est en souffrance avec la Troïka. Et la Troïka est divisée. Les alliés s'étripent autour de querelles de chapelle. Ennahdha ne veut plus du CPR et d'Ettakatol, fragilisés par les scissions et les ruptures de ban. Et Ennahdha est gagné lui aussi par le spectre des divisions et des désertions. Le dernier conseil de la choura du mouvement a été, dit-on, houleux. Certains y ont claqué la porte. D'autres menacent de le faire bruyamment. Entre-temps, le remaniement ministériel escompté n'arrive guère à pointer, ne fût-ce que le bout de son nez. Cela devient franchement pathétique. On en rit, faisant contre mauvaise fortune bon cœur. Le chef du gouvernement en est réduit à faire face à un dilemme. Ou M. Hamadi Jebali annonce le remaniement, ou il jette l'éponge. Il faut savoir que ledit remaniement traîne depuis pas moins de sept mois. Et tout en est paralysé. Le pays, l'économie, l'administration, les chantiers politiques, la diplomatie, tous les secteurs névralgiques sont dans l'expectative. Le stand by est devenu un mode d'emploi, une espèce de modus operandi. En vérité, tout le monde a l'œil rivé aux prochaines échéances électorales. Près de quinze mois après être passée aux commandes de l'Etat, la Troïka ne peut guère se prévaloir de quelque heureux bilan. L'économie est en panne, les exportations stagnent, l'investissement est en net recul, les prix augmentent vertigineusement, le pouvoir d'achat et le moral des ménages dégringolent, l'insécurité règne, l'angoisse du lendemain vire au cauchemar. Mais la Troïka ne veut guère assumer. Alors chacun de ses membres tente de se déculpabiliser. Parce que les prochaines élections pourront bien s'agencer, même partiellement, autour du vote-sanction. Mieux vaut tirer son épingle du jeu, quitte à donner l'impression de se désolidariser de sa propre action. Le CPR et Ettakatol semblent mus par de pareilles motivations. De son côté, Ennahdha tente bien de reconstituer l'alliance gouvernementale. Et d'associer d'autres formations au bilan, avant la dernière ligne droite. Seulement, les plus tentés par le pouvoir n'y vont guère les yeux bandés. Tel est le cas du mouvement Wafa ou de l'Alliance démocratique, pour ne citer qu'eux. Côté opposition, après avoir tergiversé et pesé le pour et le contre, certaines formations ont décidé de sceller définitivement le point de non-retour avec Ennahdha. Ils ne voudraient guère devenir le dindon de la farce. Surtout que des formations telles que l'ex-PDP ont comptabilisé à leurs dépens, risques et périls les dangers et les effets contreproductifs de l'empressement à s'associer au pouvoir. Aujourd'hui, sous nos cieux, le pouvoir ressemble à un trophée tant convoité mais, paradoxalement, craint et appréhendé dans la crispation. On s'y attache mais on en est agité. C'est un peu, comme l'instruit le proverbe du terroir: «Je ne t'aime pas mais je ne saurais souffrir ton absence (la nhibbek la nosbour 3lik)». Tout cela révèle un profond marasme. Celui d'un establishment plus soucieux de logomachie, de paraître et de simulation que d'action et d'efficience. Les révolutions se prêtent aisément aux postures mues par le seul tape-à-l'œil, le faisons comme si, les prétentions oiseuses. Mais assumer le pouvoir est bien autre chose. En fin de compte, à quelque chose malheur est bon. L'actuelle crise gouvernementale instruit beaucoup plus qu'elle ne révulse. On doit bien connaître la classe politique, les hommes auxquels on doit remettre les clés de la maison via les consultations électorales. Et il n'est jamais trop tard pour savoir.