Par Hmida BEN ROMDHANE Depuis l'invasion de leur pays en 2003 par les troupes américaines, les Irakiens ont voté trois fois. Ils ont voté en 2005. A l'époque, Bush & Co. avaient applaudi « la victoire de la démocratie » mais, petit à petit, l'Irak avait sombré dans une orgie de violence insensée. En effet, au lendemain de ces élections, les insurgés avaient réussi à déclencher une guerre confessionnelle en s'attaquant aux lieux saints des Irakiens chiites pour amener ceux-ci à réagir contre leurs concitoyens sunnites, et leur projet de dérailler le processus politique avait réussi dans une très large mesure. L'Irak avait sombré dans une orgie de violence insensée qui, dans les années 2006 et 2007, les plus sanglantes de l'histoire moderne du pays, faisait jusqu'à trois mille morts par mois. Les Irakiens ont voté une deuxième fois en 2010. Malgré les menaces des terroristes de faire sauter les bureaux de vote et de tuer quiconque s'aviserait à accomplir son devoir électoral, les citoyens irakiens s'étaient rendus en masse pour voter dans l'espoir d'élire une classe politique qui stabiliserait le pays. On se rappelle qu'à l'époque, les terroristes avaient échoué à empêcher le déroulement des scrutins, mais ils se sont vengés des Irakiens de manière terrifiante, horrible. Ils ont inventé à l'époque un nouveau procédé par lequel ils portent la terreur dans l'unique endroit où le citoyen irakien se sentait en sécurité : son domicile. Ce procédé diabolique consistait à louer un appartement dans un immeuble, le bourrer d'explosifs et faire sauter toute la bâtisse sur la tête de ses habitants. C'était le meilleur moyen que les disciples de Ben Laden avaient trouvé pour s'opposer à la démocratie impie et punir ceux qui y croient et la pratiquent. Le courage des citoyens irakiens qui avaient bravé les menaces des terroristes pour aller élire des représentants qui prendraient en charge les affaires du pays, le stabiliser et le nettoyer du terrorisme n'avait pas servi à grand-chose. Le contraste était saisissant entre le sens de responsabilité des citoyens irakiens qui, en mars 2010, ont donné un coup dur aux terroristes d'Al Qaïda en se rendant aux urnes au prix de leur vie, et l'irresponsabilité de leur classe politique pour qui l'intérêt personnel passe avant celui du pays. Après le scrutin de 2005 tout comme après celui de 2010, les politiciens irakiens s'entredéchiraient pour s'emparer du pouvoir. En 2005 comme en 2010, les insurgés s'engouffraient dans le vide politique causé par les chamailleries politiciennes. En 2005 comme en 2010, l'après-scrutin s'avérait particulièrement sanglant et les civils, comme toujours, payaient le prix fort. On ne peut que s'incliner bien bas face à l'extraordinaire patience du peuple irakien et sa passionnante détermination à sauver son pays en donnant une nouvelle chance à ses politiciens dans l'espoir qu'ils se réveillent et mettent enfin l'intérêt de l'Irak avant tout autre intérêt, qu'il soit personnel, corporatiste ou confessionnel. C'est dans un tel état d'esprit que les Irakiens ont accepté de retourner aux urnes une troisième fois. Ils ont voté le 30 avril 2014 et ont élu un nouveau parlement. Comme on l'a vu après les élections de 2005 et de 2010, les membres du parlement et des différents gouvernements issus des élections de 2014 n'ont qu'une idée en tête : maintenir leurs privilèges et ceux de leurs acolytes et, si possible, les renforcer. Le comportement irresponsable des classes politiques successives qui tiraient leur légitimité des élections de 2005 et de 2010 est pour beaucoup dans l'amplification extraordinaire des deux fléaux principaux qui minent l'Irak : la corruption et le terrorisme. Quarante jours exactement après l'élection d'une nouvelle classe politique le 30 avril 2014, les hordes terroristes de Daech déferlèrent sur Mossoul, la deuxième ville du pays dont la population se compte en millions... Un tel désastre aurait dû être le choc salvateur qui aurait tiré la classe politique irakienne de sa profonde inconscience et de sa consternante irresponsabilité. Il n'en est rien. Que Daech occupe Mossoul, s'empare d'Al Anbar, le plus grand gouvernorat irakien, et menace la capitale Bagdad, la classe politique continue de s'entredéchirer comme si de rien n'était, au grand bonheur des terroristes et au grand malheur de l'Irak Depuis des mois, des centaines de milliers d'Irakiens défilent dans les rues de Bagdad et occupent la place « Tahrir » pour appuyer une exigence parfaitement légitime : plus de partage du pouvoir et de ses bénéfices entre les partis politiques, mais un gouvernement de technocrates pour s'attaquer aux deux fléaux du pays, la corruption et le terrorisme. Ceux qui s'opposaient aux exigences de l'écrasante majorité du peuple et refusaient de voter en faveur d'un gouvernement de technocrates en utilisant divers subterfuges, ce sont ces mêmes députés que les Irakiens ont élus le 30 avril 2014 en bravant les menaces terroristes. S'étonnera-t-on après tout cela que des milliers de citoyens irakiens en colère envahissent la « zone verte », défoncent les murs et les portes du parlement, saccagent ses locaux et vandalisent ses meubles ? En s'attaquant de manière irrationnelle et aveugle à la principale institution du pouvoir dans le pays, les citoyens en colère ont enfoncé l'Irak dans la plus grande crise politique depuis l'invasion américaine en mars 2003. L'Irak serait-il gouvernable seulement par des dictatures ? Malheureusement beaucoup le pensent et l'histoire de ce malheureux pays le démontre. Depuis de très longues décennies, l'Irak est coincé entre la peste et le choléra, c'est-à-dire entre le règne répressif des dictatures successives et le règne ravageur des forces destructrices enfantées par la « démocratie » de Bush.