• Une douloureuse méditation sur le double qui plonge le lecteur dans les profondeurs déformantes de l'âme humaine jusqu'aux racines de l'inconscient Dans une belle préface du premier livre de l'auteure Une femme en exil de mots de Emna Bousaïdi, enseignante née à Tunis en juillet 1977, le Dr Mohamed Rejeb Bardi explique son choix par le fait qu'il a décelé, à sa lecture, un talent authentique qui ne demande qu'à éclore et éclater. Aussi, lui a-t-il prédit un avenir prometteur et radieux. Dans une atmosphère feutrée où les bruits de l'extérieur sont étouffés, l'auteure a laissé errer son imagination, cette faculté de l'esprit dotée «d'ailes brisées» qui n'est rien qu'illusion. A demi-mots, Emna Bousaïdi affirme qu'elle ne se livre pas entièrement. Et si elle le fait, c'est avec beaucoup de réserve, sans laisser transparaître le fond de sa pensée. C'est aussi une femme qui n'a pas fini de se bercer de chimères. En fin de compte, l'écriture n'est-elle pas son jardin secret, intime et caché, où la moindre indiscrétion est assimilée à un viol? Prise à son propre jeu Une femme en exil de mots est l'insoutenable récit d'une passion surgie d'une époque où les plus beaux sentiments se sont fracassés, tel un vaisseau, contre des vagues déchaînées dans une mer agitée, et où les cœurs qui ont souffert ont prématurément vieilli. Cette folle passion est unique, dans la mesure où la romancière a tissé la toile dans laquelle son héros, né de son imagination, s'est trouvé pris au piège des fils entrelacés par ses soins. Une histoire assez extraordinaire selon le bon sens populaire qui veut que l'art a ses propres exigences, la création sa propre expression et l'écriture ses propres lois. L'auteure s'est trouvée impliquée et piquée à son propre jeu, celui d'une chose qui a échappé à son contrôle. En créant de toutes pièces, et à partir du néant, son personnage, elle lui a ainsi insufflé la vie. Désormais, sa créature parle, bouge, mange, aime, proteste, déteste, fulmine et peste. Ce n'est plus un simple amas de mots et de lignes ou du papier mais bel et bien un être en chair et en os, doté d'une âme et d'un cœur qui, ironie du sort ou par juste retour des choses, projette de se libérer de l'emprise de sa «créatrice» en allant voir si, ailleurs, l'herbe est plus verte. En tentant de s'émanciper de la tutelle de la femme qui l'a inventé, il va, au grand désarroi de celle-ci, manifester son désir de connaître d'autres femmes qui ne seraient pas dans le secret de sa «naissance». A la différence de la marionnette Pinocchio de Collodi qui se métamorphose en petit garçon espiègle et farceur et du Dr Jekyll et Mister Hyde, personnages inspirés par le cauchemar d'un homme malade et fiévreux, Robert Louis Stevenson, celui de Emna Bousaïdi fait naître dans le cœur un sentiment de pitié et de révolte. Un livre qu'il faut lire absolument et une auteure à découvrir. ——————— Une femme en exil de mots, de Emna Bousaïdi - Editions Sahar, février 2011.