L'une des principales forces de la Tunisie tout au long de son histoire a été sa diplomatie et ses relations extérieures. Inutile de refaire ici l'inventaire de tous les bienfaits de cette diplomatie et de tout ce qu'elle a permis à la Tunisie. Ce qu'il est plus important aujourd'hui, c'est que tout ce qui a été bâti risque d'être détruit, sciemment ou par ignorance. La dernière sortie dans ce cadre est celle du chef de l'Etat, Kaïs Saïed, dans une adresse à l'ONU, faite à distance, à l'occasion du 75ème anniversaire de l'organisation. Son allocution à cette occasion n'a pas dépassé les trois minutes. Ces dernières ont été suffisantes pour que le président de la République énonce des généralités et montre à quel point le discours officiel est déconnecté des réalités. D'abord sur la forme, le décor choisi est surchargé, vieillot et moche. Nous aurions pu faire largement mieux que cela. Par ailleurs, la carte derrière le président de la République avait été utilisée il y a des années par Habib Bourguiba pour piquer l'Algérie tout juste après l'indépendance. Le président semble ignorer la portée symbolique d'une telle mise en scène et ne semble pas conscient que cela peut devenir matière à tension ou à malentendu. L'un des lieux communs utilisés par le président de la République est l'assertion selon laquelle les nouvelles technologies de la communication et les réseaux sociaux ont rapproché les peuples et les ethnies. L'excellent documentaire « The social dilemma » a dû échapper aux services de la présidence de la République car il est scientifiquement prouvé que jamais la polarisation des opinions n'a atteint un tel niveau, à cause surtout des réseaux sociaux. Les algorithmes et les intelligences artificielles qui officient sur ces réseaux nous entourent virtuellement de personnes qui sont plus ou moins d'accord avec nous. Par conséquent, on ne voit plus les opinions divergents et nous avons de plus en plus de mal à les accepter ou à les écouter. Bref, tout cela pour dire que lancer une telle ineptie dans une allocution de cette importance est signe de méconnaissance des sujets et de mauvais conseil. D'un autre côté, le président de la République aurait dû se montrer plus constructif et plus positif dans cette allocution. Ce n'était ni le moment, ni le bon moyen de critiquer l'ONU avec tout ce qu'on peut lui reprocher. La Tunisie a été élue membre du conseil de sécurité de l'organisation et a entamé ses travaux en janvier 2020. Il sera alors temps de porter les revendications et les complaintes de tous les pays amis et frères que nous souhaitons. Mais choisir le 75ème anniversaire de l'ONU pour critiquer le rendement de cette organisation dénote quand même d'un certain mauvais goût. L'allocution aurait aussi pu contenir un peu plus de messages positifs concernant la Tunisie. A aucun moment il n'a évoqué notre pays dans cette adresse à la tribune de l'ONU. Il a préféré, comme à chaque fois qu'il s'agit de politique extérieure, de parler de la Palestine et de son droit à recouvrer sa terre. Un droit tout à fait légitime il va sans dire. Mais il faudrait accorder au moins la même importance aux intérêts tunisiens parce qu'il s'agit du président de la Tunisie, et uniquement de la Tunisie.
En somme, Kaïs Saïed a prononcé une allocution sans aucun relief et n'a rien dit de pertinent lors de ce mot. Il a trouvé le moyen, en tant que président, de ne pas prononcer le mot « Tunisie » une seule fois lors de cette intervention devant l'ONU. Cela relève sans nul doute du génie ! Il aura beau ensuite claironner devant les ambassadeurs et les diplomates que la Tunisie n'a qu'un seul président et n'a qu'une seule diplomatie, cela ne changera rien aux faits. Mais a-t-on vraiment besoin de cette diplomatie qui se permet de laisser vacants des postes importants dans des ambassades telles que Paris ? De cette diplomatie qui ne possède aucun point d'attache dans un pays comme la Libye ? Est-ce une fierté pour le président de virer sans ménagement un ministre des Affaires étrangères qu'il a lui-même choisi ? De faire virer deux ambassadeurs aux Nations-Unies ? Ajoutons à cela une espèce de délire de persécution qui fait que le président se place toujours dans la peau d'une victime. Victime de complots et de machinations qu'il s'échine à déjouer. Il parle d'allégeances à des parties étrangères, de tentatives d'hypothéquer la politique étrangère, d'intérêts étrangers et de haute trahison, sans jamais désigner un responsable. Des mots et des accusations lancés en l'air emmenant à chaque fois un peu de la crédibilité du président.
L'urgence aujourd'hui est de bien négocier la période où la Tunisie siègera au conseil de sécurité de l'ONU. L'actuel ministre des Affaires étrangères ne devrait pas être viré dans les six prochains mois au moins. Il faudrait également que Kaïs Saïed fasse appel à un conseiller en diplomatie et relations extérieures digne de ce nom, quelqu'un qui aurait autre chose sur son CV que le fait d'avoir été l'un de ses collègues ou l'un de ses étudiants. Autre chose à prendre en considération : nous n'avons pas préparé ce passage au conseil de sécurité et nous avons d'autres échéances diplomatiques importantes comme le sommet de la francophonie.