Un an jour pour jour, s'est écoulé depuis l'investiture du président de la République Kaïs Saïed. C'était bien le 23 octobre 2019, que Kaïs Saïed était devant le Parlement pour s'adresser au peuple et lui promettre de réaliser ses aspirations à la liberté et la dignité. Un an après, qu'en est-il réellement ? Retour sur un an d'exercice d'un président atypique. « Tout passe mais l'Etat doit perdurer. L'Etat tunisien est l'Etat de tous les Tunisiens et le premier principe est la neutralité, chacun est libre de ses convictions. Les institutions de l'Etat doivent rester loin des calculs politiques. La responsabilité est aussi de préserver les acquis et les richesses de la nation, chacun de nous doit être un modèle et il n'y a pas lieu au pardon pour un seul millime des enfants de ce grand peuple », avait déclaré Kaïs Saïed lors de son premier discours de président de la République, le jour de son investiture. S'en est-il tenu à ce principe ? Le doute est permis lorsqu'on examine de près cette première année de Saïed passée à Carthage. C'est dire que le président de la République a, certes, entamé son mandat avec des rencontres avec des citoyens. Des réunions, des accolades et des rencontres qui se sont faites de plus en plus rares tenant compte des critiques et de la lassitude des Tunisiens de voir ces images sans suite concrète. Le doute est aussi permis lorsqu'on rappelle la guerre sans merci dans laquelle s'est lancée le président de la République avec le mouvement Ennahdha. Ses discours laissant entendre des complots se tramant dans des chambres noires et la traitrise de certains lobbies n'ont rien de fédérateur et n'ont fait que diviser davantage les Tunisiens. Se présentant à la présidentielle sans parti politique derrière lui et sans machine électorale au sens classique du terme, Kaïs Saïed n'a fait, pourtant, que de la politique durant sa première année à Carthage. De son refus à recevoir Nabil Karoui, deuxième parti vainqueur des législatives, au choix d'Elyes Fakhfakh, puis à la désignation de Hichem Mechichi aux poste de chef de gouvernement. Deux personnalités n'ayant quasiment aucun soutien partisan et parlementaire au départ, afin qu'il puisse être leur unique soutien. Toutefois, son approche était loin d'être la meilleure. Elyes Fakhfakh a fini par démissionner suite à un scandale de conflits d'intérêts et des suspicions de corruption loin des valeurs prônées par Saïed et l'absence de soutien des partis politiques autour de lui, notamment le parti Ennahdha. Pour ce qui est de Hichem Mechichi fraîchement installé à la Kasbah, il a choisi la sécurité en se reposant sur la nouvelle coalition parlementaire composée d'Ennahdha, Qalb Tounes et Al Karama. Il semble avoir tiré les leçons de l'expérience de son prédécesseur et compris que l'unique soutien du chef de l'Etat ferait de lui un Premier ministre, pouvant être éjecté dès la première motion de censure au Parlement.
Toujours est-il, les prérogatives du chef de l'Etat ne se limitent pas aux points cités. Il est en charge du volet diplomatique. Et là aussi, il y a beaucoup à dire. Il suffit de rappeler « la visite inopinée » du président turc Erdogan ayant débarqué en Tunisie pour s'entretenir avec le chef de l'Etat Kaïs Saïed, alors que personne n'avait communiqué sur cette visite de travail ni sur les thèmes qui y devaient y être discutés. D'autre part, l'objet même de la visite voulant impliquer la Tunisie dans le conflit régional et interne en Libye a poussé les observateurs à estimer que Kaïs Saïed - novice et manquant d'expérience - avait fusillé six décennies de diplomatie. Sans parler de la gestion chaotique du dossier libyen et la mauvaise image renvoyée de la Tunisie à la suite du limogeage des deux représentants de la Tunisie à l'ONU, à savoir, Moncef Baati et son successeur Kais Kabtani. Deux limogeages suivis de scandales diplomatiques alors que la Tunisie venait d'obtenir le statut de membre non permanent du conseil de sécurité après un long travail diplomatique, une opportunité qui ne se présente pas souvent, bien évidemment.
Le chef de l'Etat est aussi responsable de la sécurité nationale du pays. Dans ce sens, Kaïs Saïed a été généreux en termes de visites rendues aux forces militaires et durant la période de l'épidémie Covid-19, il n'a pas hésité à décréter le couvre-feu, à rapatrier les Tunisiens bloqués en Chine ou encore à installer les hôpitaux de terrain dans certaines régions, à l'instar de Gabès et de Sidi Bouzid.
En ce qui concerne le volet des droits et des libertés, le bilan de Kaïs Saïed est mitigé. Bien qu'il soit fidèle à sa position contre l'égalité dans l'héritage, le chef de l'Etat s'est prononcé pour la peine de mort et contre son abolition. Une position qui a été fortement contestée par les activistes des droits de l'homme. Toutefois, ces derniers jours, il s'est rangé du côté des journalistes et des professionnels du secteur de l'audiovisuel contre la proposition d'amendement du décret 116 présentée par la coalition Al Karama. Sa prise de position en faveur de tout le secteur des médias a été fortement applaudie. Toutefois, la question qui se pose tout de même étant de savoir si elle émane d'une véritable conviction de la nécessité de défendre le secteur ou si elle s'inscrit dans la continuité de la bataille avec les partis ayant présenté cette initiative. En un an, Kaïs Saïed n'a fait rien de concret pour les 72% des Tunisiens qui l'ont élu. Il faut dire qu'il ne leur a rien promis à part la liberté, la dignité et la consécration de leur volonté. Cela dit, il bénéficie encore d'un capital sympathie et de la confiance des Tunisiens. Ceci revient à son intégrité et à son rejet du système des partis politiques que les Tunisiens ont, eux aussi, rejeté. La médiocrité et la mauvaise image renvoyée par les hommes politiques font que Kaïs Saïed caracole encore dans les sondages d'opinion, en dépit de ses casseroles, de l'absence de programmes et de vision. Reste à savoir s'il pourrait encore tenir durant quatre ans et préserver ce capital sympathie en se reposant uniquement sur l'échec des autres ?