Déchiqueteuse, subst. fe/Déf : un destructeur de documents est un appareil utilisé dans les bureaux pour détruire, en réduisant en petits morceaux les documents contenant des informations que l'utilisateur juge sensibles, afin de rendre leur consultation impossible après leur destruction. Preuve, subst. fe/Déf : élément matériel (exemple document) qui démontre, établit, prouve la vérité ou la réalité d'une situation de fait ou de droit. Destruction de preuve : le fait d'altérer, falsifier, endommager ou effacer des traces ou indices relatifs à une cause criminelle.
Il était nécessaire (pour mon humble personne) de passer par cet avant-propos didactique, au cas où on aurait oublié quelques notions, au cas où on ressentirait le besoin de se rafraichir la mémoire. Des termes assez communs mais qui prennent une signification assez étrange dans un contexte tout aussi étrange. Nous y reviendrons.
L'histoire commence sur le réseau social bleu. Une information explosive fait état d'une tentative d'assassinat contre le président de la République. Les détails sont précis d'autant que les parties qui relayent sont proches de Carthage. Quelques minutes après, un message sibyllin du frère du président vient renforcer le doute. Flottement, la présidence est injoignable pour un bon moment. Un chroniqueur affirme en direct la véracité des faits. Au sortir du studio, il est arrêté. Entre temps, une source à la présidence confirme aux médias qu'il y a bien eu un courrier suspect, qu'il a été intercepté par un agent, que ce dernier va bien, que le président se porte à merveille et qu'une enquête est en cours. Entre temps aussi, certains affirment que l'affaire date de quelques jours et que c'est la cheffe de cabinet qui a ouvert la lettre et qu'elle a été victime d'un malaise. Le lendemain matin, déclaration officielle de la chargée de communication de la présidence confirmant la première version et précisant que les correspondances qui parviennent à la présidence de la République étaient triées minutieusement avant d'être livrées au président de la République. Mais à la surprise générale, la présidence gratifie l'opinion publique, l'après-midi, d'une autre version qui confirme celle relayée sur les réseaux sociaux.
On a donc une cheffe de cabinet qui ouvre, lundi dernier, une lettre ne portant pas le nom de l'expéditeur et qui fait un malaise nécessitant son hospitalisation. Un agent présent est saisi de malaise aussi. Que fait-on dans ce cas ? On jette à la déchiqueteuse une preuve. Logique. On la repêche après pour que la police l'examine. Dans la soirée, le Parquet annonce qu'il n'a pas été mis au courant de l'affaire et qu'il attend toujours ladite lettre. On nage en plein délire. Vendredi, le Parquet révèle que la lettre ne contenait aucune matière toxique, mais qu'il ne l'a toujours pas reçue. Les adeptes de la théorie du complot s'en donnent depuis à cœur joie pour construire et déconstruire un tas de scénarios, la finalité étant que de tentative d'empoisonnement il n'en est rien. Les détracteurs de Kaïs Saïed, islamistes et satellites sautent sur l'affaire pour le discréditer et instiller une nouvelle fois la menace d'une destitution. Loin du complotisme qui écarte la raison pure, cette histoire rocambolesque démontre que le président de la République n'est pas à l'abri d'une tentative d'assassinat, mais surtout cela prouve encore une fois l'amateurisme notoire de l'équipe qui l'entoure. La présidence a tu l'incident pendant des jours pour ne pas semer la panique, mais l'information se retrouve à circuler librement sur les pages proches du chef de l'Etat. A la suite de la polémique, la présidence est obligée de communiquer dessus mais de façon tellement contradictoire qu'elle sème encore plus la panique et les supputations les plus alambiquées. On n'a pas pensé à mettre le Parquet au parfum. Et cerise sur le gâteau, cette lettre, cette preuve du méfait, jetée à la déchiqueteuse et partiellement détruite et dont le Parquet réclame toujours la saisie.
Un désastre communicationnel sans nom. Un cafouillage qu'on aurait pu épargner à un pays éprouvé par tant de crises. Au-delà de l'issue de cette affaire, ce qu'il en restera c'est le côté obscur, ce sont les non-dits, les mystères non-élucidés. C'est l'intériorisation d'une menace qui rôde autour de Kaïs Saïed pour certains, la certitude qu'il est visé par un complot ourdi dans les chambres noires comme il aime à le répéter. Mais pour d'autres, cela sonne comme un discrédit définitif de celui qui a été plébiscité par le peuple. Avec une pincée de complotisme des deux côtés, la fracture, déjà installée, s'en trouvera plus prononcée.