Comme indiqué la semaine dernière dans cette même rubrique, l'information que vous ne deviez pas lire était bien celle de la question de l'empoisonnement présumé du président de la République. Cette semaine, non plus, vous ne lirez rien à ce sujet. On a étouffé l'affaire et seuls quelques journalistes râleurs en parlent encore. Ces journalistes finiront par se taire et plus personne ne se souviendra plus de ce vrai-faux empoisonnement. Cela fait trois semaines que le Parlement a donné sa confiance au gouvernement Mechichi II, mais les onze nouveaux ministres n'ont toujours pas prêté serment. Ici et là, on accuse Hichem Mechichi d'avoir fait appel à des ministres suspectés de corruption et de conflit d'intérêt. Ici et là, on accuse Kaïs Saïed d'avoir violé la constitution en dépassant ses prérogatives, créant par là un précédent dangereux. Très dangereux. Ici et là, on rappelle que la création de la cour constitutionnelle est le seul rempart pour résoudre ce problème. Toutes ces bonnes gens ont quelque part raison. La vérité n'est pas noire ou blanche. Que faire face à cet imbroglio ?
Pour résoudre le problème, chacun y est allé avec sa solution. Le président de la République a convoqué des députés de différentes factions et demandé à ce qu'on écarte les quatre ministres suspects, violant ainsi le principe de la présomption d'innocence. Le chef du gouvernement est allé voir le tribunal administratif, créant ainsi un précédent dangereux (un autre) que de mêler les juges administratifs à des sujets qui ne sont pas de leur ressort. Il est allé voir ensuite l'Instance provisoire chargée du contrôle de la constitutionnalité des projets de loi que préside un juge suspecté dans une série d'affaires de … corruption. Il a également consulté des constitutionnalistes triés sur le volet puisqu'il s'est débrouillé pour écarter ceux qui ont un avis contraire au sien. Concrètement, qu'a-t-on obtenu de toutes ces consultations ? Rien puisque nous sommes encore dans une situation de blocage. Et si on reste dans ce blocage, c'est que la solution à cet imbroglio n'est pas juridique, elle est politique. Plutôt que d'aborder le problème d'un point de vue juridique, comme on l'a tous fait jusque là, abordons le d'un point de vue politique alors !
A l'origine du problème, les élections de 2019 qui ont donné Ennahdha vainqueur avec le droit de nommer le chef du gouvernement. Le parti islamiste a raté le coche en n'obtenant pas la confiance pour son poulain, atterri de nulle part et sans compétence particulière à faire valoir, Habib Jemli. Comme le disposent les textes constitutionnels, le président de la République a pris la relève et c'est à lui de proposer un chef du gouvernement. Le président de la République est clair et il l'a dit à maintes reprises : son chef du gouvernement ne doit pas être quelqu'un du sérail politique et doit obligatoirement éviter toutes accointances avec les partis du parlement. En clair, il doit éviter de nommer des personnes désignées par Ennahdha et ses pare-chocs Qalb Tounes et Karama. Elyes Fakhfakh a respecté cette directive à la lettre, il s'est mis le parlement à dos et a été loyal, jusqu'au bout, à son bienfaiteur Kaïs Saïed. Quand ce dernier lui a demandé de démissionner, il n'a pas hésité un instant. Hichem Mechichi, en revanche, n'a pas respecté la parole donnée à celui qui a fait de lui un conseiller, puis un ministre de l'Intérieur puis un chef du gouvernement. Il s'est rapidement acoquiné avec le parti islamiste et ses satellites. On se rappelle encore du déjeuner du 2 septembre qui a rassemblé Hichem Mechichi, Rached Ghannouchi, Nabil Karoui et Seïf Eddine Makhlouf. Mechichi pensait jouer au plus malin en acceptant, dans un premier temps, des ministres proposés par le président pour les limoger trois mois après en les remplaçant par des ministres proposés par les partis. Ce genre de trahison ne passe pas pour Kaïs Saïed et c'est là l'origine du blocage politique actuel. La semaine dernière, il a invité des chefs des blocs parlementaires pour les consulter avec, à leur tête, Ennahdha, Karama et Qalb Tounes. Plutôt que de résoudre le problème, il s'enfonce davantage. Il le prouve aujourd'hui avec le limogeage de cinq ministres, Mechichi est en train de jouer la fuite en avant. Il n'est pas en train de chercher une solution avec le président, il est en train de chercher à se maintenir à son poste coûte que coûte.
Comment peut-il espérer trouver une solution avec le président de la République en consultant le parti islamiste tant haï par le président de la République ? Comment peut-il espérer gagner les faveurs du président de la République en consultant Qalb Tounes dont le président est en prison, suspecté de blanchiment d'argent ? Comment peut-il gagner le respect du président de la République en conviant Al Karama dont les députés ont été récemment rappelé à l'ordre par le parlement pour violence à l'encontre de leurs collègues et dont le président Seïf Eddine Makhlouf est condamné par la justice à une peine de prison ferme pour agression verbale à l'encontre d'un juge et épinglé par le fisc pour fraude fiscale ? En discutant avec Ennahdha, Qalb Tounes et Al Karama, Hichem Mechichi s'approche de tout ce que le président de la République (et pas que) exècre. Hichem Mechichi ne pourra jamais gagner les faveurs du président de la République, ni celles du peuple, en s'acoquinant avec des personnalités politiques aussi peu recommandables que les gens d'Al Karama et aussi controversées que les gens d'Ennahdha et Qalb Tounes.
L'origine du mal est là : Hichem Mechichi s'est approché de ceux que le président de la République considère comme ennemis du peuple, ennemis de la démocratie, ennemis de la République, ennemis de l'intégrité. A vrai dire, le président de la République donne lui-même des signaux contradictoires. Sinon, comment expliquer qu'il a convié des Nahdhaouis à la réunion du 10 février tenue avec quelques blocs parlementaires ? Kaïs Saïed doit savoir sur quel pied danser. Soit il ne veut pas de politiques dans le gouvernement et, dans ce cas, il doit s'abstenir de consulter les politiques à tour de bras, soit il accepte un gouvernement politisé et, dans ce cas, il doit laisser Mechichi gouverner avec qui il veut. Le message du président de la République demeure clair cependant : si le chef du gouvernement veut gouverner tranquillement, il doit s'abstenir de fréquenter les mauvaises gens. Et ces mauvaises gens sont, à ses yeux, Ennahdha, Karama et Qalb Tounes.