Karim Abdessalem, ancien membre d'Ennahdha, aujourd'hui expert en justice transitionnelle, est l'un des instigateurs des attentats de Bab Souika en 1991. Il a été invité aujourd'hui, 14 mars 2021, par Chaker Besbes, sur Shems Fm, pour évoquer la complexité de son parcours et de son « retournement » qui a duré une trentaine d'années. Dans cette interview à bâtons rompus et au contenu difficile, Karim Abdessalem reconnait avoir été « un criminel » et explique sa réhabilitation afin de « se faire pardonner auprès de la société tunisienne ». Il se définit comme étant « le monstre qu'ils ont élevé », en référence au parti islamiste qu'il a transformé la « feuille blanche » qu'il était en lui inculquant « leur expérience et leur culture ».
De criminel, à expert en justice transitionnelle, Karim Abdessalem explique qu'à l'époque, il pensait que « ce crime était une action pour contrer un parti au pouvoir liberticide », mais, qu'après des années de prison, « [il] s'est suis rendu compte que c'était un crime odieux qui causé la mort et qui a fait basculer le pays dans la répression ». « Si j'ai purgé ma peine d'un point de vue judiciaire - après avoir passé 13 ans en prison - je présente mes excuses aujourd'hui aux familles et proches des victimes mais aussi à tous les Tunisiens, car cet attentat a marqué un tournant dans l'histoire du pays, a créé des années de répression et conduit à la révolution », a déclaré Karim Abdessalem.
Karim Abdessalem qui avait connu Ennahdha durant « sa période cruciale, celle de la mobilisation des bases et durant laquelle le prosélytisme avait quitté la mosquée pour s'étendre à la société », explique que l'attentat de Bab Souika, tout comme les actes de vitriol à l'époque, visaient le régime de manière symbolique afin que l'aile sécuritaire et armée puisse, par la suite, « en récolter les fruits ». « La mobilisation et la démagogie peuvent échapper au contrôle, tout comme cela s'est passé en 1991 », a-t-il souligné. Une aile sécuritaire dirigée par des dirigeants connus d'Ennahdha aujourd'hui parmi lesquels il cite le nom de Sadok Chourou.
Au sujet du parti de Rached Ghannouchi, Karim Abdessalem explique que le mode opératoire du parti a peu changé. « Leur discours était et est encore plus basé sur des rites que sur un fond et une pensée. Aujourd'hui encore, Ennahdha est une force organisationnelle et structurelle plus qu'une réelle force de pensée ou de discours ». En effet, il explique qu'Ennahdha rejoue aujourd'hui le même schéma. « Il suffit de comprendre le premier cycle pour les comprendre tous », a-t-il dit, expliquant que « le mouvement avait le pouvoir de la mobilisation de rue ». « Les contextes ont changé mais l'idée reste la même, et les cocktails molotv ont cédé aujourd'hui la place aux drapeaux », explique Karim Abdessalem.
L'ancien nahdhaoui précise aussi que le parti avait une aile sécuritaire, qui avait fomenté les appareils de l'Etat et que les armes circulaient, profitant d'un contexte géopolitique particulier. « Si on ne sait pas qui au juste dirige cette aile sécuritaire, il faut savoir que le mouvement se compose de structures dites ordinaires et d'autres structures spéciales, qui opéraient seules et qui étaient sous les ordres principalement du chef du parti (Rached Ghannouchi ndlr) ».
De son entrée en politique dans les années 80, Karim Abdessalem a évoqué son enfance à proximité de la rue Zarkoun à Tunis, son intérêt pour la religion et son implication politique. Tout avait commencé lorsque sa famille partageait sa maison avec une prostituée travaillant dans la maison close de Abdallah Guech « une femme forte et puissante et qui entretenait une relation avec mon père », explique-t-il. Une dame qui les a aussi mis dehors après la mort de ce dernier. « C'est à ce moment-là que j'ai découvert l'autre facette de la société tunisienne, celle des mosquées », a-t-il dit, ajoutant : « Alors que, dans notre maison, nous étions habitués des soirées alcoolisées et du folklore musical tunisien, je me suis retrouvé dans une autre dimension en me réfugiant dans la mosquée et c'est là que j'ai découvert ma deuxième famille ».
Le 17 février 1991, des membres du mouvement islamiste – Ennahdha aujourd'hui – ont attaqué une permanence du RCD dans la capitale et brulé vif l'un des gardiens.