« Ce sont des menteurs. Ils savent qu'ils sont des menteurs et savent que nous savons que ce sont des menteurs. Pourtant, ils continuent de mentir ». Plusieurs décennies après, ce cri de colère prononcé par Néjib Mahfoudh, prix Nobel de littérature, conserve toute son actualité et peint à se coller à la réalité tunisienne en rapport avec l'affaire des vaccins contre la Covid-19 distribués en catimini aux membres du gouvernement et à leurs proches collaborateurs.
Alors que le pays était dans l'œil du cyclone, que le nombre des Tunisiens atteints par le virus ou décédées enregistre des records, que la campagne de vaccination peine à décoller, que des milliers de Tunisiens âgés de plus de 65 ans, c'est-à-dire la frange la plus vulnérable, ont été « oubliés » par la faute d'un dysfonctionnement de la plateforme Evax nous dit-on; le chef du gouvernement organise une séance de vaccination privée pour ses ministres et ses proches collaborateurs.
Dans un autre pays qui se respecte, doté d'un minimum de structures démocratiques, où les gouvernants respectent leur peuple et où il existe encore un sens à l'éthique politique, le gouvernement aura présenté sa démission et présenté ses excuses aussitôt cette affaire éclatée. Chez nous, ce qui s'est passé est exactement le contraire. C'est à peine s'ils n'ont pas demandé au peuple tunisien de s'excuser pour ne pas avoir compris que ses gouvernants étaient prioritaires en tout et en toutes circonstances. En substance, le chef du gouvernement, son conseiller de communication, son ministre de la Santé et son responsable de la campagne de vaccination nous ont dit qu'ils ont tous les droits et que nous devons aller voir ailleurs s'ils y sont.
Le chef du gouvernement est sorti nous dire clairement que les responsables de l'Etat doivent être vaccinés en priorité parce qu'il a décidé qu'il en soit ainsi. Il oublie que la priorité est déterminée par la réalité du terrain. Les hauts cadres de l'Etat, assis dans leurs bureaux cossus ne sont pas prioritaires comparés aux milliers d'enseignants, de chauffeurs de bus ou aux agents municipaux chargés d'inhumer les victimes de la Covid. Il aurait été plus responsable de sa part de sortir nous annoncer les résultats de l'enquête sur le don émirati de vaccins à la présidence même si ces résultats ne lui permettent pas de marquer des points contre le président de la République. Il aurait été plus respectueux à l'égard de ce peuple tunisien de sortir annoncer l'ouverture d'une enquête sérieuse, pas un simple rapport, sur le fonctionnement de la campagne de vaccination et ses différentes zones d'ombre.
A l'arrogance du chef du gouvernement, son conseiller de communication ajoute le mensonge, la diversion et le soudoiement. Il avance que la présidence de la République a aussi reçu des milliers de vaccins alors qu'il sait qu'elle n'a reçu aucune dose encore. Il nous affirme que tous ceux qui ont été vaccinés parmi les membres du gouvernement ou leurs collaborateurs sont inscrits sur la plate forme Evax alors que la question était de savoir s'ils sont prioritaires selon les termes des priorités telles qu'elles ont été définies au départ. Enfin, dans une manœuvre de soudoiement évidente, il annonce que les parlementaires et les journalistes font partie eux aussi des franges prioritaires et qu'ils auront de ce fait leur part du gâteau.
Quant au pauvre ministre de la Santé, il se confond lui-même. En annonçant qu'une nouvelle loi sur les franges prioritaires est en préparation actuellement, il confirme que la séance privée de vaccination des membres du gouvernement et de leurs proches collaborateurs a été organisée en dehors de tout cadre légal.
Plus lamentable encore, le responsable de la campagne de vaccination qui, contre toute attente, a tenté d'expliquer l'inexplicable et a fortement malmené de ce fait, son statut de scientifique respecté.
Il n'est pas utile de s'arrêter sur l'abjection de l'acte de la députée nahdhaouie Arwa Ban Abbes qui a usé de son statut pour se faire vacciner au détriment des autres Tunisiens. On sait malheureusement, depuis dix ans déjà, que ces gens là considèrent la Tunisie comme un simple butin de guerre.