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Décisionnisme et Exceptionnalisme
Publié dans Business News le 28 - 07 - 2021

Tous les Tunisiens feraient le même constat à propos du système politique général. Ils sont tous exaspérés par le spectacle ininterrompu de l'indécision politique, des dérives parlementaires, de la partitocratie, de la faillite économique, de la corruption, des réseaux parallèles et de la voyoucratie politique. Eléments dont il n'est nul besoin d'énumérer en détail. Force est d'admettre que la prise des grandes décisions politiques et économiques se prennent en dehors du parlement et des institutions (dans les commissions, partis, couloirs, réseaux parallèles, ou en secret dans les résidences des dirigeants politiques), L'immixtion des groupes de pression et des intérêts économiques avec leurs lobbyistes à l'intérieur même de l'enceinte parlementaire, ont non seulement désagrégé l'Etat, mais ont conduit les partis à ne plus s'affronter en tant que représentants des électeurs et citoyens ou en tant qu'incarnation d'opinions plurielles, mais en tant que groupes de pression et d'intérêts divers. Le lien malsain entre l'intérieur et la justice sur des causes islamistes inavouables et l'impunité judiciaire noircissent encore le tableau. En un mot la politique tunisienne est devenue un système général de corruption détestable, duquel la Constitution elle-même est indemne.
C'est pourquoi la transition tunisienne n'a plus cessé d'être définie depuis dix ans, comme l'incarnation de l'indécision. Indécision de la Constitution ; indécision du régime politique ; indécision des partis, aussi nombreux que peu effectifs; indécision des gouvernements de coalition ; indécision du président de la République, qui n'est plus considéré comme la clé du système, indécision de la justice, malléable. La corruption et le banditisme politique se sont introduits justement dans les interstices de ces multiples indécisions. Le tout a fini par corrompre les bases de la nouvelle démocratie elle-même.
Mais ce n'est pas une raison d'en rajouter et de sortir dangereusement des limites du cadre légal. Que le parlement, incarnation de la souveraineté populaire, soit suspendu par un président de la République, lui-même élu par le peuple, est en soi une pratique dangereuse, voire diabolique. Diabolique, parce que d'un coup, l'autorité la plus limitée du système (président) sa transfigure comme par magie en l'autorité la plus puissante, en « Etat total » tant honni dans le passé. Il est d'ailleurs dans la nature des situations exceptionnelles prévues par les Constitutions démocratiques du monde, que le parlement demeure, impérativement, et justement, en de tels cas exceptionnels, en fonction, pour contrôler les abus éventuels du chef autoproclamé exceptionnel, même pour un mois. D'ailleurs, le décisionnisme exceptionnel de Kais Saied aurait été plus supportable si, au moins, dans les mesures prises, il avait préservé le parlement en fonction, pour éviter l'aventurisme du vide institutionnel. Kais Saied est déroutant. Il a été perçu avant, comme après son élection, comme un légaliste pur-sang, faisant preuve même d'une obsession textuelle, voyant la Constitution partout, même dans l'air qu'on respire. Le voilà décisionniste malgré lui, pur hobbésien et visblement schmittien, faisant un virage à cent degrés.
Le décisionnisme constitutionnel est une conception qui postule que le droit provient de l'autorité du chef, et non de la norme établie ou de la valeur qu'elle est censée incarner. Le président suspend une Constitution dont il est le garant sans respecter la forme qui lui est rattachée. Il décide de réunir entre ses mains non seulement, comme on l'a dit, les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, mais dispose encore du pouvoir constituant, notamment en l'absence de la cour constitutionnelle, mais aussi parce qu'il a innové en matière constitutionnelle (procureur en chef, révocation du gouvernement, gel du parlement en période exceptionnelle) et qu'il va légiférer seul pendant au moins un mois.
On le sait, le système de droit classique, le normativisme, est un système de normes et de règles censées être reliées et enchaînées sur le plan de la validité. Toutes les lois positives sont ramenées à une norme unique, la Constitution, selon le système hiérarchique de dépendance des normes. Système au sommet duquel se trouve la Constitution, qui peut paraître parfois un obstacle dans les grandes crises.
Mais, il y a une autre conception plus redoutable et machiavélique, qui correspond à la situation présente en Tunisie et à la rupture décrétée par Kais Saied. C'est la théorie décisionniste de Carl Schmitt, juriste et philosophe allemand, qui a sympathisé un moment avec le nazisme, et qui considère que la décision (constitutionnelle ou politique) naît de l'impuissance de la norme elle-même à engendrer un ordre juridique. Dans le décisionnisme, c'est l'individu ou l'autorité qui fonde souverainement le droit. Le droit est ici un ordre, non un processus normatif. Selon la formule de Hobbes, inspirateur lui-même du décisionnisme, Auctocritas, non veritas, facit legem (c'est l'autorité, et non la vérité qui fait la loi). Pourquoi ? Parce que la norme est faite pour la normalité, pas pour les moments de haute intensité historique, pas dans les temps exceptionnels, pas dans les moments de crise et de bouleversement politique. « Est souverain celui qui décide de la situation exceptionnelle », disait Carl Schmitt, en ajoutant plus loin, « L'exception est plus intéressante que le cas normal. Le cas normal ne prouve rien, l'exception prouve tout ; elle ne fait pas que confirmer la règle : en réalité la règle ne vit que par l'exception ». L'ordre juridique suppose d'abord un ordre politique pour qu'il puisse avoir une quelconque signification. Le vide normatif suppose une décision. Le chaos ne peut s'appuyer sur une norme. Or, Kais Saied considère justement que la « normalité juridique » est vidée de son sens et de sa substance par les dérives politiques et parlementaires, par l'impunité, la corruption et le lobbyisme. Et dans ce sens- là, il n'a pas totalement tort.
Le décisonniste devient alors une sorte de « dictateur de salut public », un sauveur, auquel il faut croire sur parole, parce que c'est un sauveur. La seule Constitution digne de confiance, réside en lui, comme l'ordre juridique tout entier reste entre ses mains. La seule garantie dont on va disposer durant ce mois d'exception, c'est sa déclaration d'intention, censée être bonne parce qu'il est un homme probe, moral et croyant.
Il est vrai que le spectre de la dictature n'a jamais été absent dans la Tunisie de transition, tant dans l'exercice gouvernemental, que dans le discours politique. La Révolution semblait subsumer la dictature. Mais, dès la chute du régime, le processus d'exclusion des membres de l'Ancien régime qui ont collaboré avec le régime autoritaire a été déclenché pour « immuniser » la Révolution contre toute réaction dictatoriale, par des nouveaux autres dictateurs islamistes. Par la suite, l'opposition a suspecté le président Béji Caïd Essebsi, après son élection en 2014, de « taghawal » (hégémonie) parce qu'il détenait la majorité au parlement, ainsi que la maîtrise du gouvernement, et qu'il est lui-même le chef politique de l'Exécutif en tant que leader de son parti et président de la République. Depuis 2014, c'est au tour de « l'élite autoritaire » de tenter de réhabiliter le régime autoritaire, avec l'appui d'un nouveau parti qui s'en réclame, le PDL, et une frange de l'opinion qui le soutient, tous partisans du retour à « l'ordre concret », après le chaos de la transition, au prétexte que la dictature était plus « décisive » et que la « démocratie ».
Les Tunisiens ont tous fait le même constat que Kais Saied sur les dérives du système de 2014. Mais il y a moyen et moyen, décision et décision. Il faut savoir qu'une crise politique est vouée à être traitée politiquement, au moyen du droit et de la négociation, ou de la ruse, pas par la voie répressive ou autoritaire ou para-constitutionnelle. Un homme seul ne peut régler des problèmes politiques fondamentaux qui concernent tout le peuple et tous les acteurs politiques et tout un pays. Il doit le faire avec les autres acteurs, amis ou ennemis, partis et organisations, qui ont eux aussi intérêt au règlement général de la question politique. Ennahdha et ses alliés méritent tout ce qui leur arrive, parce qu'ils ne se plient généralement que lorsque les rapports de force leur deviennent défavorables. Mais, ce qui distingue la révolution démocratique de la dictature du passé, c'est le traitement à la fois légal, judiciaire et politique des crises, propre à marginaliser la voie sécuritaire.
Nulle démocratie ne peut se dispenser du règne du droit, même s'il ne faut pas considérer le droit comme étant autosuffisant. L'opinion de Schmitt a bien entendu une part de vérité. Le droit n'est pas tout en politique. La décision politique, même impopulaire parfois en démocratie, est souvent le mode de réalisation du droit, lorsqu'il n'y a pas de droit ou lorsqu'il n'y a plus de droit (en l'espèce manipulé, voire désintégré par la majorité islamiste). Mais il faudrait sans doute concevoir pour la Tunisie un autre décisionnisme, un autre exceptionnalisme, propres à un système démocratique naissant, aux temps modernes, marqués par la montée des sociétés civiles, de l'opinion, qui soient amputés de leurs réminiscences dictatoriales, de leurs mythes et de leurs pratiques antilibérales, de type hobbésien et schmittien, et qui soient surtout ouverts au dialogue et utiles. En politique, il faut toujours laisser une porte de sortie.
Ne soyons pas aveuglés par le sentiment anti-islamiste, qui affole une foule vengeresse, longtemps privée de son identité, qui euphorise des jeunes inquiets, qui rend parfois peu lucides, voire démagogues et populistes, même les intellectuels les plus perspicaces. Heureusement qu'il y a toujours des solutions politiques multiples pour régler les difficultés et les crises. Un décisionnisme et un exceptionnalisme ciblés et proportionnés auraient été les bienvenus : l'article 80 pour élucider les graves dossiers de justice et de corruption, oui ; mais l'article 80 pour suspendre, même provisoirement, une institution démocratique fondamentale dans ce régime parlementaire, aussi déficient soit-elle (malgré tout), non. Le parlement (et les islamistes) aurait été de toute évidence isolé en l'absence de ses partenaires : gouvernement, l'intérieur, la justice. Le vide politique n'est pas une décision, ni le cumul de tous les pouvoirs. Quelle que soit la raison.

*Hatem M'rad
Professeur de science politique à l'Université de Carthage
Président-Fondateur de l'Association Tunisienne d'Etudes Politiques (ATEP)


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