C'est du jamais vu. La Tunisie pourrait être l'unique pays au monde où un procès pour outrage à magistrat se tient près de trois ans après les faits. D'habitude, les outrages à magistrat se jugent en comparution immédiate. Un jour ou l'autre, on devrait pencher sur cette justice de deux poids deux mesures qui ne protège même pas ses propres magistrats.
Ainsi, on apprend que le procès du député islamiste radical Seïf Eddine Makhlouf n'aura pas lieu avant décembre 2021. Il s'agit de cette affaire pour laquelle il a été condamné à vingt mois de prison par contumace en décembre 2019. Seïf Eddine Makhlouf avait, lors de l'affaire de l'école coranique de Regueb dans le gouvernorat de Sidi Bouzid, insulté et défié le procureur de la République près du Tribunal de première instance de Sidi Bouzid pour avoir ordonné la fermeture de l'école en question et l'appréhension des responsables, en février 2019, et ce pour suspicions d'endoctrinement et de pédophilie. Il l'a également accusé d'exercer des pratiques inhumaines suite à sa décision de soumettre les élèves de l'école coranique à des tests pour révéler les agressions sexuelles qu'ils ont subies. Mal lui en a pris, car plusieurs des enseignants de cette école ont été condamnés dont l'un à vingt ans de prison ferme.
Le magistrat insulté a bel et bien déposé plainte, mais le député (qui n'en était pas un à l'époque) n'a été auditionné qu'en avril. Son procès s'est tenu en décembre de la même année. Etant devenu député entre-temps, il a envoyé balader la justice et s'est permis de s'absenter pour aller regarder un match à l'étranger. De retour en Tunisie, il s'est opposé au jugement par contumace de vingt mois de prison ferme le rendant, du coup, caduc. C'est la loi. Par on ne sait quel miracle, la cour a renvoyé le procès aux calendes grecques. Ce n'est qu'aujourd'hui qu'on apprend que la date a été fixée à décembre 2021, c'est-à-dire près de trois ans après les faits. Comment se fait-il qu'une affaire d'outrage et de diffamation d'un magistrat traine autant de temps ? C'est ce qu'on appelle couramment la justice de Bhiri, du nom du sinistre islamiste, ancien ministre de la Justice qui a manipulé et clivé à souhait le corps judiciaire.