Le professeur émérite à la Faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, Hatem Kotrane a rappelé qu'il avait appelé en février 2021 à l'adoption d'un nouveau modèle de gouvernance pour sauver le pays. « Les institutions de l'Etat étaient complètement paralysées. On s'interrogeait sur notre futur. J'avais lancé un appel à sauver la République. J'avais mis en garde contre les dangers de l'application de l'article 80 de la Constitution, car il nécessite une unité nationale », a-t-il ajouté. Invité le 8 avril 2022 par Myriam Belkadhi sur les ondes de la radio Shems FM, Hatem Kotrane a considéré que la situation actuelle résultait d'une violation claire de la Constitution et qu'on ne pouvait pas parler de l'application de l'article 80 de la Constitution. « Seul le président de la République, symbole de l'unité de l'Etat, pouvait garantir sa continuité et prendre les mesures nécessaires … Au matin du 25 juillet 2021, j'ai encore une fois appelé au sauvetage de la République… L'initiative du président de la République résulte de l'obligation de trouver une solution même en dehors de la Constitution », a-t-il expliqué. Hatem Kotrane a insisté sur l'importance de réformer dans le cadre d'une approche inclusive et basée sur l'unité. Il a appelé à la mise en place d'un Front national de sauvetage afin de reconstruire le pays. « Nous avons vécu le plus grand paradoxe historique. Ben Ali a pris la place de Bourguiba… Personne ne voulait de lui… Il a bâti sur ce qui existait déjà et n'a pas tout détruit… Par la suite, les jeunes se sont révoltés… Le monde entier a salué ce qu'avait accompli la Tunisie… Après dix ans de cela, nous essayons d'avoir un accord avec le Fonds monétaire international (FMI) et nous traversons une situation économique critique…. Jaque Chirac utilisait l'expression "Le miracle tunisien" », a-t-il poursuivi. Hatem Kotrane a estimé que l'état d'exception n'était plus exceptionnel. Il a souligné l'importance de mettre fin à cela. Il a affirmé qu'aucun Etat ne pouvait adopter cela comme étant un modèle de gouvernance. Le président de la République, selon lui, s'est mis à promulguer des décrets suprêmes et sans garanties. « Nous avons besoin d'une Assemblée des représentants du peuple pour contrôler le gouvernement. Prenons l'exemple du décret de lutte contre la spéculation. Il inclut une sentence à vie. Ceci n'a jamais eu lieu en matière d'infractions économiques et financières. La promulgation d'un jugement ou la mort de la personne concernée ne mettra pas fin aux poursuites ! Ceci porte atteinte à la présomption d'innocence et aux dispositions du code des procédures pénales… Nous sommes en train de porter atteinte aux principes de la République », a-t-il déclaré. Le professeur de droit a salué l'application de l'article 72 de la Constitution. D'un autre côté, il a insisté sur l'adoption d'une approche participative et inclusive. Concernant le dialogue national et la tenue d'un référendum, Hatam Kotrane a considéré que le président, à lui seul, ne pouvait pas décider du régime politique du pays. « J'appelle à la création d'un forum national de sauvetage incluant l'ensemble des acteurs politiques sans exclusion. Nous ne devons pas oublier que les députés avaient été élus par le peuple. Le monde entier nous observe. La Tunisie a ratifié des conventions et des traités et nous devons les respecter », a-t-il dit. Le professeur de droit a mis l'accent sur le rôle historique de l'UGTT, de l'Utica et de la LTDH avant et après la révolution. Il a, également, évoqué les organisations de jeunes. Il a rappelé que la Constitution les qualifiait de force construisant le pays. Le forum aura pour rôle de soutenir un gouvernement de sauvetage résultant d'une unité nationale. « Il y a des décrets surprenants ! Comment allons-nous expliquer aux étudiants de droits que le décret n°117, annulant des dispositions de la Constitution, est supérieur à la Constitution supposée être source suprême dans la hiérarchie des normes ? En cas de dissolution du parlement, le président de la République est le seul à pouvoir promulguer des décrets. Néanmoins, ces textes de loi doivent passer par un dialogue afin de garantir une approche participative », a-t-il expliqué. Hatem Kotrane a, par la suite, considéré que les partis politiques devaient entamer une phase d'autocritique et d'auto-évaluation. Ces derniers doivent permettre à une nouvelle génération de prendre le relais à la tête de ces structures. « Je ne vois aucun intérêt à l'organisation de la consultation nationale… La participation au niveau des questions concernant le régime politique était faible. Je ne vais pas parler de la proposition d'additionner 38% et 36% pour avoir 78%... On ne peut pas parler d'une consultation nationale sans la participation de l'UGTT… La centrale syndicale doit avoir un rôle central… Nous avons le temps de faire cela. Le président doit être l'initiateur du forum national de sauvetage afin de montrer l'unité des Tunisiens lors des négociations avec le FMI », a-t-il insisté. Hatem Kotrane a, également, critiqué la diabolisation du secteur privé en Tunisie. Il a appelé à l'entame d'un audit économique national et à l'encouragement et le soutien du secteur privé. « L'Etat est au cœur des réformes ! », a-t-il conclu.