La Banque centrale de Tunisie a décidé, dans une démarche attendue par l'ensemble des observateurs de la scène économique, de relever son taux d'intérêt directeur de 75 points. Si certaines entreprises en Tunisie continuaient à vivoter après la crise du Covid et dans cette incertitude politique sur l'avenir du pays, le glas est maintenant sonné et la poursuite de leur activité est sérieusement mise en doute. Devant cette inflation galopante dans le pays, la BCT n'avait d'autre choix que d'utiliser son outil de prédilection, qui est le taux d'intérêt directeur. Toutefois, cela signifie, mécaniquement, que le coût de la location de l'argent va augmenter. Il ne faut pas être un docteur en économie pour comprendre que d'un côté, cela va augmenter les coûts financiers des entreprises qui répercuteront cette hausse sur le prix de vente de leurs produits. D'un autre côté, investir dans ces conditions ressemble plus à de la témérité qu'à une décision réfléchie. Si l'on prend le cas d'entreprises ayant déjà contracté des prêts auprès des banques, l'augmentation des frais financiers va forcément pousser les chefs d'entreprise à faire de douloureuses concessions. La première est celle de renoncer à tout développement, agrandissement ou élargissement de leurs activités puisque emprunter de l'argent coûte trop cher. La deuxième est de devoir se séparer d'employés pour couvrir les nouvelles augmentations de charges, surtout après l'augmentation des prix de l'énergie.
Après avoir été vilipendée et diabolisée, la communauté de chefs d'entreprises et d'investisseurs devra faire face à cette nouvelle difficulté dans un contexte des plus délétères. Le secteur privé tunisien est le seul à pouvoir créer de la richesse et à s'échiner à faire tourner la roue économique du pays, garantissant ainsi emploi, prospérité et revenus pour l'Etat. Mais cette simple réalité, accessible à un étudiant de première année, semble être difficile à comprendre pour les instances dirigeantes du pays. Le président de la République, Kaïs Saïed, a régulièrement pris pour cible cette communauté en ressassant les stéréotypes et les idées reçues selon lesquelles ce sont des voleurs qui se sont enrichis sur le dos du bon peuple, humble et travailleur. Le fait de réussir et de gagner de l'argent est devenu suspect et représente une raison légitime pour que l'intégrité et l'honnêteté soient systématiquement remises en doute. Par contre, ce sont ces mêmes personnes que les services de l'Etat viennent voir quand il s'agit de financer le train de vie de ce mammouth inefficace. Durant les derniers mois, les services du ministère des Finances auraient même demandé à certains s'il leur serait possible de payer leurs impôts en avance pour que l'Etat puisse boucler ses fins de mois. Tout cela a lieu dans un cadre fiscal des plus contraignants pour chaque entreprise qui souhaite travailler dans la légalité et la transparence. C'est un peu plus du tiers des revenus des entreprises qui vont directement dans les caisses d'un Etat qui se permet, aussi, de taxer les dividendes. Les chefs d'entreprises et même certains partenaires étrangers de la Tunisie évoquent le problème de « l'insécurité fiscale » car chaque loi de finances apporte son lot de surprises. Il est tout bonnement impossible d'établir un business plan fiable sur cinq ans en Tunisie. Tout cela est enveloppé d'une atmosphère générale tendue dans laquelle l'avenir politique est flou, la situation sociale explosive et la justice aux ordres du plus puissant. Sachant tout cela, pourquoi n'importe quel investisseur irait jeter son argent en Tunisie ? Nous n'avons pas encore parlé des difficultés administratives et des lois obsolètes régissant l'investissement en Tunisie.
Dernier maillon de cette chaine funeste, le citoyen tunisien. Au lieu d'être au centre de toutes les politiques, il en est l'otage et la victime. Toutes les personnes physiques qui ont un prêt en cours vont voir les prélèvements augmenter dans une période où son pouvoir d'achat est au plus bas. Les augmentations des prix de différents produits ainsi que l'augmentation des prix de l'énergie, aussi bien au niveau du carburant que de l'électricité finiront par épuiser son portefeuille. Les emplois des Tunisiens s'en trouveront également menacés car les chefs d'entreprises vont être obligés de licencier. Tout cela sans parler de l'insécurité et de la frustration relative à des questions comme la santé, l'éducation ou le transport.
Pendant ce temps-là, l'Etat agit comme un racketteur qui vient chercher son dû quelle que soit la situation. L'Etat ne réfléchit même pas à ce genre de problématiques et ne semble pas conscient du fait que la chaine va se briser et que la faillite n'est pas seulement un mot invoqué pour faire peur. L'Etat, à son plus haut niveau, est préoccupé par son référendum, ses élections et sa constitution. Les préoccupations des entreprises et des Tunisiens concernant la chose économique ne sont même pas sur la table de nos gouvernants. Mais nous pouvons nous rassurer, la cheffe du gouvernement décrit le versement des salaires et le paiement des dettes comme des « réalisations ».