« C'était une décision choquante, qui a mis fin à une justice indépendante et à toutes les garanties octroyées aux magistrats », a commenté, aux médias, l'ancien président du Conseil supérieur de la magistrature, Youssef Bouzakher, la décision de révocation le concernant et concernant 56 autres magistrats, décidée par le chef de l'Etat tard dans la soirée du 1er juin 2022. Et de marteler : « Nous allons faire tous les recours judiciaires nécessaires partout pour avoir gain de cause, que cela soit à l'intérieur ou à l'extérieur du pays ! ». M. Bouzakher a expliqué : « Le chef de l'Etat s'est autoproclamé le magistrat des magistrats, procureur général de la République et conseil de discipline. Il a dissous le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) et suspendu le cinquième chapitre de la Constitution, il a établi un CSM provisoire mais n'étant toujours pas satisfait, il a décidé de son propre chef de limoger les magistrats, de prendre des décisions disciplinaires à leur encontre et de les accuser sans chefs d'inculpations. Nous réclamons de publier ce qu'on nous reproche pour qu'on puisse nous défendre, ce qui est le plus basique des droits ! ». Pour lui : « Tout ce qui a été établi, en ce qui concerne le pouvoir judiciaire, est anticonstitutionnel, ne répond pas aux normes internationales de la justice indépendante ».
L'Association des magistrats tunisiens (AMT) avait décidé la veille l'organisation samedi 4 juin d'un conseil national urgent en réaction à la révocation par le président de la République de dizaines de magistrats. Youssef Bouzakher a estimé qu'« aujourd'hui, les magistrats présents devront exprimer leurs avis par rapport à tout ce qui se passe », car les révocations seront « une épée de Damoclès érigée en permanence au-dessus de la tête de ses confrères ».
S'adressant aux magistrats présents lors de la réunion, l'ancien président du CSM a affirmé : « Le temps n'est pas à la faiblesse. Le pouvoir judiciaire est toujours établi. Il (le chef de l'Etat, ndlr) a voulu mettre fin à la justice mais le pouvoir lui a répondu aujourd'hui qu'il va rester en place, indépendant et loin de son influence. Il a voulu porter atteinte à vos institutions, mais elles ont répondu que le pouvoir judiciaire ne pouvait être touché, on ne peut pas porter atteinte aux magistrats et on ne peut pas les juger hors du cadre du projet et de certaines garanties. Il a dissous le CSM et mis en place un CSM provisoire ». M. Bouzakher a considéré que le président de la République n'a pas eu le courage de faire ses annonces en plein jour, faisant ses annonces en pleine nuit. Et de soutenir qu'il était venu avec ses listes au CSM mais que ce dernier ne s'est pas soumis à ses volontés, alors il est passé à l'étape d'après : le limogeage direct des magistrats, une première dans l'histoire de la Tunisie moderne, selon lui. « Nous n'allons pas nous taire. Nous allons attaquer ses décisions en justice, partout et sous tous les cieux. Le plus important, c'est de comprendre que ce qu'il vise de la révocation des 57 magistrats est de vous porter atteinte en combattant vos décisions et vos extrapolations. Il vous condamne avec sursis. Aujourd'hui, c'est une occasion non pas pour nous défendre nous (les 57 magistrats limogés, ndlr) mais de vous défendre ! ».
Le président de la République a, rappelons-le, annoncé, le 1er juin, la révocation – sans possibilité de recours – de 57 juges, dont le président du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) dissous par Saïed, Youssef Bouzakher, l'ancien procureur de la République, Béchir Akremi, l'ancien premier président de la Cour de cassation, Taieb Rached et l'ancien substitut du procureur de la République, Sofiene Sliti. Ceux-ci sont accusés, par Kaïs saïed, d'entrave à la justice et plusieurs autres dépassements. Le lendemain, l'AMT a publié un communiqué affirmant que le décret 35 de 2022 était nul et non avenu, car il représente une atteinte manifeste à la compétence exclusive du Conseil supérieur de la magistrature et une ingérence claire et flagrante du président de la République dans les prérogatives de l'autorité judiciaire. Elle a dénoncé les limogeages les qualifiant de « massacre » judiciaire opéré sous couvert de lutte contre la corruption et qui en fait n'a rien à voir ce qui n'a en fait rien à voir avec cela.