L'Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie) continue à être à l'origine des polémiques et des critiques des Tunisiens. A l'image de la politique du chef de l'Etat, Kaïs Saïed, l'Isie adopte, dans ses décisions ainsi que dans ses déclarations, un comportement illogique, incohérent, sans fondements et manquant considérablement de visibilité. L'instance, depuis sa nomination par le président de la République à la date du 9 mai 2022, avait démontré sa soumission au pouvoir en place en acceptant plusieurs dépassements et mesures controversées telles que le changement du projet de la constitution en pleine compagne référendaire ou la révision de la loi électorale ayant conduit à l'adoption du scrutin uninominal excluant indirectement la femme de la vie politique et enfreignant les dispositions de la constitution portant sur la parité et la représentation des femmes dans les conseils élus. Jusque-là, l'Isie jouait le rôle du parfait complice. Elle se limitait à tout mettre en œuvre pour exécuter les décisions du président et traduire ses discours en mesures. Néanmoins, la date du 24 octobre 2022 représente un véritable tournant pour cette instance qui jusque-là se contentait d'accepter les solutions de Kaïs Saïed si souvent assimilées par les experts en droit et les politiciens à du bricolage plutôt qu'à des textes de loi. L'Isie avait, à cette date-là, joué elle-même au bricoleur. Dans un communiqué du 24 octobre 2022, soit la date officielle de la clôture du dépôt des candidatures aux élections législatives du 17 décembre 2022, l'Isie a annoncé le prolongement de cette période de trois jours. Un simple texte sec et sans explications, tout cela afin d'avoir plus de candidats et de créer l'illusion de la participation massive des Tunisiens à ce processus et d'y apposer un semblant de légitimité. La liste préliminaire des demandes de candidatures a été, par la suite, communiquée par l'Isie marquant l'ouverture des délais de dépôt de recours auprès du Tribunal administratif. Près d'une soixantaine de recours ont été déposés auprès du Tribunal administratif dont celui, qui deviendra par la suite, le célèbre recours accepté par la chambre de première instance de Sfax. La décision était une véritable surprise, non-pas en raison de la personne concernée, mais de l'argumentaire de la cour. Le Tribunal administratif a décidé d'accepter un recours en l'absence d'un texte juridique fixant les conditions de dépôt des candidatures ! Oui, c'est bien cela ! L'Isie aurait oublié de publier la décision de l'Isie n°2022-25 du 26 septembre 2022 relative aux règles et procédures de candidature aux élections législatives 2022. Le recours avait été accepté à la date du 9 novembre 2022. Cette décision nous montre donc que l'Isie, institution indépendante, bénéficiant de l'autonomie administrative et financière et ayant à sa disposition toutes les ressources de l'Etat et de l'administration tunisienne afin de garantir la réussite des élections n'est même pas capable de se rappeler de publier en temps et en heure la décision fixant le déroulement de ces élections et les conditions de candidatures. Ainsi, la personne ayant eu gain de cause auprès du tribunal administratif réintégrera le processus électoral et pourrait être candidat sans remplir les conditions exigées pour des candidats participants aux mêmes élections ! Ceci représente une atteinte claire et directe au principe d'égalité de traitement entre les candidats. Toutes ces remarques ont fait le tour de la toile le soir du 14 novembre 2022 suite à la publication au Jort de ladite décision, soit après l'obtention de gain de cause par le candidat et après l'acceptation et le refus des candidatures par l'instance. L'Isie a publié le texte régissant et fixant les conditions de candidature après avoir organisé une prestigieuse cérémonie servant à présenter les données relatives aux dossiers acceptés par l'instance. De son côté, le président de l'Isie, Farouk Bouasker a considéré que toutes les décisions de l'Instance étaient la cible de critiques pour des raisons purement politiques. Il a même eu l'audace de dire que les décisions étaient publiées sur le site de l'instance. Farouk Bouasker, juriste de formation, considère donc cela comme une alternative au Journal officiel de la République Tunisienne. Il semble ne pas avoir connaissance de la Loi n° 93-64 du 5 juillet 1993, relative à la publication des textes au Journal Officiel de la République tunisienne et à leur exécution. L'article deux de ce texte dispose : « Les textes législatifs et réglementaires sont exécutoires cinq jours après le dépôt du journal officiel dans lequel ils sont insérés, au siège du gouvernorat de Tunis. Le jour du dépôt n'est pas pris en considération dans le décompte du délai. Ces textes peuvent comporter une disposition expresse d'exécution immédiate ou dans un délai dépassant celui indiqué au premier alinéa du présent article ». De plus, la décision n°2022-25 du 26 septembre 2022 telle que publiée sur la page Facebook de l'Isie comporte comme dernière phrase : « La présente décision sera publiée au Journal Officiel de la République tunisienne et au site électronique de l'Instance et s'applique immédiatement ». L'isie s'est, donc, elle-même, donnée l'obligation de publier le texte au journal officiel. Il s'agit là d'une mesure tout à fait normale puisqu'elle s'inscrit dans le cadre de Loi organique n° 2012-23 du 20 décembre 2012 portant création de l'Instance supérieure indépendante pour les élections. Il s'agit du texte de loi fixant le fonctionnement de l'instance et des procédures de prise de décision. L'article 19 du même texte dispose : « Le conseil de l'Instance Supérieure Indépendante pour les Elections adopte les règlements nécessaires à l'exécution de la législation électorale et des missions confiées à l'instance. Lesdits règlements sont signés par le président de l'instance ou, le cas échéant, par le vice-président et publiés au Journal officiel de la République Tunisienne ». Les décisions faisant partie des règlements doivent, ainsi, être publiées au journal officiel afin d'avoir une valeur juridique. Farouk Bouasker semble être prêt à tout pour bricoler des solutions "magiques" afin de camoufler la défaillance de l'Isie. Une défaillance que nous avions déjà remarqué lors du fiasco de l'annonce des résultats du référendum du 25 juillet 2022. Farouk Bouasker n'écrira sûrement pas son nom dans l'histoire de la Tunisie en tant que garant de la démocratie et des élections libres et indépendantes, mais en tant que grand rafistoleur qu'il est et président d'une instance plus comique qu'indépendante.