Trois Tunisiennes en moyenne meurent chaque mois sous la violence de leurs époux. Au premier trimestre de l'année 2023, elles étaient huit à avoir perdu la vie, dans un drame de violence conjugale, selon les chiffres avancés par l'Association Aswat Nissa. Certaines étranglées, d'autres lardées de coups de couteau… Le législateur tunisien pense combattre toute forme de violence faite aux femmes, pourtant le fléau prend de l'ampleur ; en 2022, soit cinq ans après la promulgation de la loi 58 sur les violences domestiques, quinze femmes ont fini sous terre des suites de violences conjugales. La garantie légale Ambitieuse et stricte. C'est ainsi que certains experts ont qualifié cette loi 58 à sa promulgation. Le législateur y assure que l'Etat et ses institutions s'engagent pleinement dans la lutte contre la violence faite aux femmes jusque dans sa forme la plus grave ; le féminicide, à travers de nombreuses mesures. On y trouve de tout. De la prévention à la sanction en passant par la sensibilisation. Dans un rapport publié en décembre 2022 basé sur des témoignages collectés auprès de femmes victimes de violence, Human Rights Watch (HRW) a relevé de nombreuses lacunes notant que les autorités tunisiennes doivent mobiliser davantage de moyens financiers et consolider la volonté politique pour fructifier les efforts déployés dans la lutte contre la violence à l'égard des femmes. « L'Etat devrait veiller à ce que : la police protège les femmes et lance des enquêtes chaque fois que des violences domestiques sont signalées, sans exiger de certificats médicaux initiaux ; le pouvoir judiciaire traite dûment tous les cas de violences domestiques, sous toutes ses formes ; et que les services de soutien promis soient disponibles », lit-on dans le rapport de HRW. Selon l'organisation, les unités de protection créées conformément à la loi 58 et disposant de peu de personnel féminin ne sont opérationnelles que pendant les horaires administratifs, la police exige arbitrairement des certificats médicaux et des preuves pour engager une enquête, le recours à la médiation pour pousser les victimes à se réconcilier avec leurs agresseurs, le manque de communication sur les droits des victimes, le manque d'accès aux services d'aide juridique, et la rareté des centres d'hébergement, sont les plus grands obstacles. Des facteurs de pénibilité qui font du parcours un vrai chemin de croix pour certaines au point d'abandonner.
Le modèle espagnol La fluidification des procédures et l'application stricte de la loi, conjugués à un budget colossal, ont fait leurs preuves en Espagne. Même si le pays fait face à un récent regain de violence à l'égard des femmes, l'arsenal juridique demeure l'un des plus efficaces. Depuis que le gouvernement de José Luis Rodriguez Zapatero a voté la loi de protection intégrale contre les violences de genre en 2004, le nombre de féminicides a été considérablement réduit. De 76 en 2008 à 49 en 2022. En plus de suivre les directives internationales en matière de lutte contre la violence à l'égard des femmes, le modèle espagnol est connu pour être une loi intégrale dont les mesures dépassent la simple pénalisation des violences domestiques ou conjugales pour s'attaquer aux origines des violences de genre ; les inégalités entre hommes et femmes et la persistance du patriarcat. En termes de mesures de protection, l'Espagne a fait preuve d'innovation. L'Etat a créé des bureaux spécialisés ayant pour mission d'apporter une assistance juridique et psychologique aux femmes victimes de violence, des centres d'appel pour les signalements en plus des équipes policières dédiées formées pour être à l'écoute et mettre les victimes en confiance. Les injonctions d'éloignement sont, par ailleurs, doublées d'une autre mesure préventive ; des bracelets électroniques pour surveiller les agresseurs. Côté justice, ce sont des tribunaux dédiés avec des juges spécialisés qui traitent les affaires de violence domestique, sachant que dans certains dossiers, en cas d'abandon des poursuites par les victimes, c'est l'Etat qui engage la procédure.
La sensibilisation Des efforts de sensibilisation perpétuels permettent de développer une conscience, contribuer à un changement de comportement, et ainsi préparer un climat favorable à la mise en œuvre de politiques efficaces de lutte contre la violence à l'égard des femmes. La loi même appliquée strictement ne peut, en effet, à, elle, seule, endiguer ce fléau qu'est la violence à l'égard des femmes. Sensibiliser et déculpabiliser les victimes de violence, notamment dans la sphère familiale dans une société où tirer sur les cheveux de son épouse ou la gifler est « banal » et la femme divorcée stigmatisée, peut s'avérer une arme efficace. Selon les chiffres du ministère de la Femme, 47% des femmes tunisiennes ont été victimes au moins une fois dans leurs vies de violence domestique (2020). Un chiffre qui a connu une recrudescence pendant la pandémie Covid-19. Près de 75% des signalements de violence à l'égard des femmes enregistrées sur la ligne d'urgence nationale en 2021, étaient des affaires de violence conjugale. Des signalements au nombre affligeant mais pour la plupart sans suite. Selon les chiffres de l'Office national de la famille et de la population (ONFP), dans 87% des cas les femmes victimes de violence se taisent. Les raisons sont multiples. Le manque de confiance dans le système judiciaire. Plusieurs victimes estiment que porter plainte ne sert à rien. Un total de 3.885 arrestations a été opéré sur 47.583 cas de violence conjugale signalés jusqu'au 31 octobre 2022, selon le ministère de l'Intérieur. Le manque d'informations est aussi à blâmer. « Les efforts de sensibilisation sont largement au deçà des besoins (…) « Parmi les 30 femmes qui se sont entretenues avec Human Rights Watch (…) aucune d'entre elles n'avait utilisé la ligne d'assistance téléphonique », lit-on dans le rapport de l'organisation. Plusieurs n'ont jamais entendu parler de la loi 58, selon la même source. La menace de l'agresseur ou pire la dissuasion figurent aussi sur la liste des raisons qui poussent les femmes à taire leurs souffrances. Dans certains milieux, on oublie que l'agresseur est dangereux. Selon Human Rights Watch, la plupart des survivantes affirment avoir été dissuadées par leurs familles de porter plainte contre leurs agresseurs. C'est, d'ailleurs, de ce sens, que l'organisation a invité, dans ses recommandations, la Tunisie à ratifier la Convention d'Istanbul. Celle-ci porte essentiellement sur les efforts de prévention et de sensibilisation dont les Etats membres doivent s'acquitter dans le domaine de la lutte contre la violence à l'égard des femmes. La demande de la Tunisie d'adhérer à la Convention d'Istanbul a été acceptée en 2020 par le Conseil de l'Europe. Celle-ci n'a, cependant, pas été ratifiée.