La compagnie aérienne tunisienne Express Airline, fondée par Anis Riahi, devait ramener 130.000 touristes russes en Tunisie dès le mois d'avril dernier. Sauf qu'il y a eu annulation à la dernière minute, déclenchant la colère noire des Russes. Des plaintes en justice ont été déposées à Moscou et on réclame à Anis Riahi quelque 550 millions de roubles de dommages et intérêts. Ce dernier accuse l'aviation civile tunisienne de l'avoir empêché de travailler. La Tunisie est sévèrement critiquée en ce moment dans des médias moscovites et chez les voyagistes russes. En cause, la compagnie aérienne tunisienne Express Airline (ex-Express Air Cargo) fondée par l'homme d'affaires tunisien Anis Riahi. D'après le média russe Profi Travel, le voyagiste russe Biblio-Globus a dû annuler des vols vers la Tunisie au départ de Moscou et de Saint-Pétersbourg parce qu'Express Airline n'a pas respecté ses engagements d'assurer les vols. On parle de quelque 130.000 touristes que devait transporter la compagnie tunisienne dès le 26 avril. Une action en justice a été intentée à Moscou contre Express Airline, et Biblio-Globus réclame quelque 550 millions de roubles (près de vingt millions de dinars). La requête a été déposée auprès du tribunal d'arbitrage de Moscou le 4 août.
Un programme annoncé puis effacé Selon Profi Travel, « Biblio-Globus avait annoncé en février un programme de vols vers la Tunisie, opérés par Express Airline au départ de Moscou et de Saint-Pétersbourg vers Enfidha. Le lancement des vols était prévu pour le 26 avril. Suite à l'annonce, la demande pour la destination tunisienne a considérablement augmenté (…) Quelques jours seulement avant le début prévu, le programme de vols d'Express Airline vers la Tunisie a disparu du système de réservation du voyagiste. Biblio-Globus a expliqué l'annulation des vols par la réception d'un message d'Express Airline l'informant de l'impossibilité d'assurer le transport vers la Tunisie. La compagnie a proposé aux touristes de réserver à nouveau leur vol vers n'importe quelle destination proposée sur son site web. »
Des conséquences financières et judiciaires Assurément, une telle annulation à la dernière minute a des conséquences. Biblio-Globus, entreprise privée appartenant à de grands oligarques russes, s'est trouvée en défaut face à ses clients. Le voyagiste s'est donc retourné contre la compagnie tunisienne responsable à ses yeux de cette grosse débâcle. « De tels procès sont fréquents, les voyagistes cherchant à obtenir réparation pour les dommages causés par l'annulation de programmes de vols », a déclaré à Profi Travel Georgy Mokhov, vice-président de l'Union russe de l'industrie du voyage (RST) et directeur général du cabinet d'avocats Persona Grata. Les accusations portées par les voyagistes et le média russe contre le transporteur tunisien sont assez graves. Surtout qu'il s'agit d'un transporteur relativement jeune sur le marché tunisien et quasiment inconnu du grand public.
De la logistique au transport de passagers, il y a un couac Avant d'être Express Airline, la compagnie d'Anis Riahi s'appelait Express Air Cargo. Elle a été créée en 2017 et s'est spécialisée dans la logistique aérienne avec une flotte de deux avions dans un premier temps, puis trois avions dont un Boeing 737-800SF. La compagnie a récemment renforcé ses standards de sécurité en obtenant la certification ISAGO de l'IATA, un gage de son engagement envers les meilleures pratiques en matière de gestion de la sécurité. En mars dernier, la compagnie a annoncé son rebranding en Express Airline et a élargi son champ d'activité en s'aventurant dans le transport de passagers. Au passage, son capital est passé à 46 millions de dinars. Son ambition est clairement affichée et sans ambiguïté, puisqu'elle l'annonce dans un communiqué officiel : rivaliser avec des poids lourds du secteur aérien tunisien, tels que Tunisair, Tunisair Express et Nouvelair. Sauf qu'il y a un couac : la compagnie a beau annoncer publiquement son rebranding et ses nouvelles activités, elle n'a pas obtenu pour autant les autorisations nécessaires des autorités de l'aviation civile. Ce couac, s'ajoutant à ce que rapportent les médias et les voyagistes russes, a suscité des interrogations à Tunis quant à ce nouveau scandale frappant Anis Riahi et sa compagnie. Des interrogations accompagnées de rumeurs insistantes dans les milieux touristique et aéronautique sur le fait qu'il se serait enfui à l'étranger avec l'argent de Biblio-Globus et qu'il aurait laissé des ardoises à Tunis, notamment auprès de l'entreprise publique d'hydrocarbures Agil. Cette dernière lui refuserait, selon les rumeurs, tout ravitaillement pour défaut de paiement.
La version d'Anis Riahi Contacté par Business News, jeudi 14 août 2025, Anis Riahi nous confirme qu'il est en effet à l'étranger. Il dément catégoriquement s'être enfui et qu'il y ait une quelconque procédure judiciaire lancée contre lui en Tunisie. « Je circule librement, ce qui se dit est faux et l'article qui a été publié contre moi dans un journal tunisien est à 80 % erroné. Je vais déposer une plainte sur la base du décret 54 », promet-il au début de l'entretien WhatsApp, suggérant entre les lignes qu'il fera pareil avec nous si jamais nous nous aventurons à diffuser de fausses informations contre lui. M. Riahi dément également avoir une quelconque ardoise en Tunisie. Il ne travaille plus avec Agil depuis huit ans, lui préférant TotalEnergies et Staroil, suite à une discrimination qu'il affirme avoir subie de la compagnie publique. « Je défie quiconque qui dit que j'ai une dette », martèle-t-il. Concernant Biblio-Globus, Anis Riahi a une autre version des faits, bien différente de celle relayée par les médias et les voyagistes russes, ainsi que de ce qui se raconte à Tunis dans les milieux touristiques et du transport aérien. D'après lui, ce n'est pas lui qui a annulé le programme de vols des 130.000 passagers, mais Biblio-Globus. Il assure qu'il était prêt trois jours avant la date du premier départ (soit le 22 avril 2025) et l'a fait savoir au voyagiste. Il affirme avoir planifié cinq avions passagers pour assurer le programme de vols des touristes russes. Il dément catégoriquement avoir reçu de l'argent de Biblio-Globus, ce qui invaliderait, selon lui, les rumeurs selon lesquelles il se serait enfui avec l'argent des Russes. Anis Riahi souligne qu'il n'a aucune fonction exécutive au sein de sa compagnie aérienne, ayant nommé un directeur général qui, légalement, endosse toutes les responsabilités. Une question se pose cependant : comment sa compagnie a pu signer un tel contrat et planifier autant de vols alors qu'elle n'avait pas les autorisations nécessaires des autorités de l'aviation civile tunisienne ? C'est justement ce défaut d'autorisations qui, selon plusieurs sources du secteur, l'aurait poussé à annuler le programme de vols à la dernière minute avec le voyagiste russe.
Le rôle des autorités et la concurrence Anis Riahi ne se dérobe pas à la question et explique qu'on cherche à lui « mettre les bâtons dans les roues », comme cela a été fait, selon lui, avec d'autres acteurs du secteur. Il rappelle que ses concurrents siègent au Haut Conseil de l'aéronautique et qu'il n'est pas dans leurs intérêts de voir un nouvel arrivant dans le club très fermé des compagnies aériennes tunisiennes. Ses prix fortement concurrentiels risqueraient, d'après lui, de bousculer leurs politiques commerciales. Il note par ailleurs qu'il concurrence directement Nouvelair sur le marché russe. M. Riahi avance un point crucial à propos des autorisations. Selon lui, il n'a besoin d'aucune nouvelle autorisation pour exercer l'activité passagers : celle accordée pour le cargo serait suffisante. « Il n'y a aucune différence entre l'activité cargo et l'activité passagers, dit-il. Il y a les mêmes procédures et les mêmes exigences de sûreté. Seul le personnel naviguant change. » Il souligne au passage que Tunisair et Nouvelair n'ont pas mis à jour leurs autorisations initiales ni obtenu de nouvelle autorisation lorsqu'elles se sont mises au cargo, alors qu'elles étaient initialement limitées à l'activité passagers. Pour étayer ses propos, M. Riahi cite le décret 166 du 8 octobre 2009, qui fixe les conditions d'obtention ainsi que les modalités de délivrance et de retrait du permis d'exploitation aérienne. Selon lui, ce texte l'autorise à migrer du cargo au passagers sans procédure administrative supplémentaire, hormis les modifications ordinaires du RNE et les accords du conseil d'administration. Pourtant, tout en soulignant qu'il n'a pas besoin d'autorisation, il indique avoir déposé une demande de migration en juillet 2024 et qu'il n'a reçu de réponse en février 2025, l'enjoignant à passer par le Haut conseil de l'aéronautique.
Une question sans réponse claire La question reste entière : pourquoi le programme de vols des Russes n'a pas été honoré ? Est-ce à cause de l'administration de l'aéronautique tunisienne, qui aurait bloqué les activités d'Anis Riahi, ou parce que Biblio-Globus n'a pas réussi à remplir ses engagements ? D'après les Russes, c'est Express Airline qui n'a pas respecté le contrat, d'où la plainte en justice et la demande de dommages et intérêts. D'après M. Riahi, ce sont les Russes qui ont tout annulé, faute d'avoir vendu assez de billets pour remplir les avions.
Des accusations croisées Pourquoi, dans ce cas, évoque-t-il tour à tour les blocages administratifs, le décret 166, ses concurrents agacés par ses prix ou encore les « bâtons dans les roues » ? Pourquoi parle-t-il d'une procédure de réconciliation avec le voyagiste russe, entamée depuis deux semaines, tout en niant être au courant que ce dernier ait lancé une procédure judiciaire d'arbitrage contre lui et réclamé 550 millions de roubles de dommages et intérêts ? Mieux encore, il nous affirme que c'est lui qui a entamé la procédure d'arbitrage. En Tunisie, les voyagistes, bien informés, l'accablent, l'accusant d'avoir privé le pays de dizaines de milliers de touristes russes et d'avoir terni l'image du pays en Russie. Certains parlent carrément d'un retrait prochain de son AOC (certificat de transporteur aérien) par l'aviation civile tunisienne dans les prochains jours. Paradoxalement, les voyagistes russes pointent plutôt du doigt leur compatriote Biblio-Globus. Dès le mois d'avril, Profi Travel relayait le scepticisme du marché quant à la viabilité de l'opérateur. « Il convient d'ajouter que le marché avait initialement des doutes quant à ce programme, notamment concernant la fréquence et le coût annoncés des vols. Les agences de voyages estimaient qu'il serait difficile de remplir les avions avec de tels volumes de transport. Selon les experts, seuls 20 % des touristes étaient prêts à acheter un circuit en Tunisie, dont le prix démarrait à 127.000 roubles, tandis que les touristes pouvaient espérer un séjour dans un hôtel 4* pour seulement 150.000 roubles par semaine pour deux personnes. En Egypte, le prix est presque deux fois moins cher. Biblio-Globus devra soit réduire la fréquence de ses vols, soit baisser ses prix », ont commenté les agences citées par le journal russe.
Un dossier qui laisse des traces Au final, l'affaire Express Airline dépasse le simple cadre d'un contrat non exécuté. Elle s'inscrit dans un enchevêtrement d'intérêts contrariés, de rivalités commerciales et de stratégies de communication antagonistes. Entre Moscou et Tunis, chacun campe sur sa version, l'érige en vérité et défend son camp avec la même vigueur. Les Russes accusent la compagnie tunisienne de défaillance et réclament réparation devant la justice de leur pays. Anis Riahi renvoie la responsabilité à Biblio-Globus, pointant du doigt ses difficultés à remplir les avions. Les voyagistes tunisiens, eux, dénoncent une occasion manquée d'attirer des dizaines de milliers de touristes et une atteinte à l'image du pays en Russie. Paradoxalement, les voyagistes russes ne volent pas tous au secours de leur compatriote. Certains mettent ouvertement en doute le sérieux de Biblio-Globus, exactement comme leurs homologues tunisiens le font avec Anis Riahi. Une attitude inhabituelle dans ce type de dossier, où les acteurs d'un même pays se serrent généralement les coudes face à un partenaire étranger. Dans ce brouillard, une chose demeure certaine : le programme avorté a déjà eu un coût, économique et symbolique. Il a terni la crédibilité de la destination tunisienne sur un marché stratégique et posé des questions embarrassantes sur la fiabilité et la transparence de certains de ses acteurs aériens. Les procédures en cours permettront peut-être d'établir les responsabilités. Mais, quel que soit le verdict, le mal, lui, est déjà fait.