L'interdiction du traitement médiatique de deux affaires de complot contre la sûreté de l'Etat par le juge d'instruction près le Pôle judiciaire de lutte contre le terrorisme, annoncée le 17 juin 2023, a suscité la colère et l'indignation de la scène nationale. On y voit une atteinte à la liberté d'expression et de presse et un pas en arrière en matière de libertés fondamentales. Les activistes et membres du comité de défenses dans les affaires de complot contre la sûreté de l'Etat ont mis l'accent sur le dangereux précédent que représentait cette décision. Il s'agit pour eux d'une tentative de renforcer le contrôle des médias et de restreindre la liberté d'expression. Cette décision s'oppose aux fondements de la démocratie et aux droits humains. Le juge d'instruction avait motivé sa décision par la nécessité de garantir le bon déroulement de l'enquête et la confidentialité de l'instruction ainsi que la protection des données personnelles des individus concernés. Quelques partisans de cette hypothèse évoquent, à titre d'exemple, l'interdiction de publier décidée par la justice française au sujet d'une enquête menée par « Mediapart ». Ils semblent, malheureusement, avoir oublié que le tribunal de Paris avait annulé, par la suite, cette décision. Les exemples de censures, d'interdiction et de contrôle des publications des médias sont nombreux. Il nous suffit de parcourir quelque 2.000 km pour aller de Tunis à Ankara, capitale de la Turquie. Ce pays a fait l'objet de plusieurs débats autour des interdictions de publier et de ce qu'on appelle blackout médiatique. Cette notion renvoie aux décisions d'interdiction du traitement médiatique de certains sujets. La Turquie avait annoncé une interdiction, en mai 2013, de publier et de couvrir médiatiquement les attentats de Reyhanli. L'année suivante, le régime turc a annoncé trois grandes interdictions de publier. La première a eu lieu en février 2014. Elle porte sur des convois d'armes qui auraient été acheminés par les services secrets turcs vers la Syrie. La justice turque avait interdit la publication de toute information relative à ces convois. La deuxième affaire concerne 80 citoyens turcs détenus à l'étranger. La Turquie avait interdit, en juin 2014, de couvrir et de publier la prise en otage de ces citoyens par un groupe armé affilié à Daech. La troisième interdiction, quant à elle, porte sur une affaire de corruption touchant quatre ministres. La justice turque a interdit, en novembre 2014, aux médias d'évoquer l'audition des ministres par la commission parlementaire chargée d'enquêter sur leur corruption. L'inaction de ladite commission avait suscité la colère des Turcs et leur indignation. Selon plusieurs sources, dont Reporters Sans Frontières (RSF), les autorités turques ont fait pression sur les médias et ont provoqué le licenciement de journalistes et le blocage de sites internet afin d'enfouir l'affaire. Pour rappel, la Turquie occupe la 165e place du Classement mondial de la liberté de la presse pour l'année 2023. Ce dernier concerne 180 pays. D'autres pays occupent une place critique du même classement réalisé par RSF tel que la Chine. Ce pays est connu pour la répression des droits et des libertés, dont ceux de s'exprimer et de s'informer. Ce pays avait décidé, en avril 2013, d'interdire aux médias de publier des informations non-autorisées en provenance de médias ou de sites Internet étrangers. Cette décision avait été prise par l'Administration Générale de la Presse, Publication, Radio, Film et Télévision. Elle permet aux autorités chinoises de limiter davantage l'accès des citoyens à l'information et de consolider son contrôle des publications. Ce pays occupe la 179e place, soit l'avant-dernière, du Classement mondial de la liberté de la presse pour l'année 2023. Le même classement indique que l'Egypte occupe la 166e place. Bien évidemment, il ne s'agit pas d'une surprise, vu l'attitude des autorités égyptiennes vis-à-vis des médias et des libertés fondamentales d'une façon plus générale. En 2021, à titre d'exemple, le pouvoir a obligé les journalistes à reprendre uniquement les chiffres du ministère de la Santé. Il était interdit de publier des chiffres relatifs à la situation pandémique et la propagation du Coronavirus collectés d'une source autre que le ministère. À la 146e place de ce classement, se trouve un autre pays ayant pratiqué l'interdiction de publier. Il s'agit de la Jordanie. En juillet 2020, la justice a pris une série de mesures afin de sanctionner des syndicalistes jordaniens et de réprimer les protestations organisées par les enseignants. Les membres du Syndicat des enseignants jordaniens ont été arrêtés. Parallèlement à ces mesures, le procureur général a ordonné l'interdiction aux médias de couvrir cette affaire. Aborder la chose, même en restant factuel, avait été totalement interdit. Les autorités jordaniennes ont décidé de faire en sorte comme si l'affaire n'existait pas. Les cas de blackout médiatique ne concernent pas les pays se trouvant en bas du classement de RSF uniquement. D'autres Etats, supposés respecter la liberté des médias et le droit de s'informer, ont témoigné de quelques déviations à ce sujet. Nous pouvons citer l'exemple de l'Albanie. Ce pays occupe la 96e du Classement mondial de la liberté de la presse. Le pays se trouve en milieu du classement et aurait, donc, tendance à respecter, un minimum, les droits et les libertés fondamentales. Néanmoins, ceci ne l'a pas empêché en septembre 2022 d'interdire aux médias de publier au sujet des attaques contre les institutions de l'Etat et le crime organisé. Il s'agit d'une mesure prise par des procureurs albanais ayant estimé que la sûreté et les secrets de l'Etat pouvaient légitimer un blackout médiatique. L'interdiction de publier avait, aussi, touché le Burundi. Il s'agit là d'un cas d'interdiction de publier aussi célèbre qu'ancien. Il remonte à 2003. Le président du Burundi, Pierre Buyoya, avait choisi d'opérer un blackout médiatique concernant des factions rebelles. Il avait interdit la diffusion de messages émanant de ces derniers. Il avait convoqué les responsables des radios publiques et privées, principal canal d'information au Burundi, afin de les informer de la chose. L'interdiction de publier pour les médias tunisiens est un dangereux précédent. Elle place la Tunisie aux côtés de ces pays qui sont loin d'être connus pour être un modèle favorisant la démocratie, les libertés et l'Etat de droit. Un triste constat pour une Tunisie qui peine à préserver les acquis de la Révolution.