Tunisair vit une crise depuis plusieurs années et rien n'a été fait pour l'aider. Plusieurs programmes de sauvetage ont été annoncés mais aucun n'a été mis en place. Après plus d'une décennie d'attente, le chef de l'Etat a décidé d'aller au secours de la compagnie nationale « gangrenée par la corruption » et de lui « rendre son rayonnement d'antan ».
Depuis plusieurs années, la compagnie aérienne nationale a amorcé sa descente aux enfers. En effet, la société a tardé à mettre en place le programme de rénovation de sa flotte, outre la décision de réintégrer en février 2011 l'ensemble de ses filiales, en offrant à tous les employés du groupe le même statut et les mêmes avantages sociaux, ce qui a été un vrai coup de massue. La révolution, avec son instabilité politique et les multiples attaques terroristes, ont enfoncé la société. La pandémie n'a rien arrangé.
En mars 2021, le ministre du Transport de l'époque Moez Chakchouk avait indiqué que le déficit cumulé de Tunisair devait atteindre 1,8 milliard de dinars en 2020 alors que l'endettement global avait atteint 955 MD. Fin 2020, les fonds propres avaient atteint -870 MD. Une situation qui a perduré, en se référant au rapport sur les entreprises publiques publié par le ministère des Finances. Les autorités de tutelle (vu que les derniers états financiers de la société publiés sont relatifs à l'exercice 2018) prévoient que le résultat net soit de 213,3 millions de dinars fin 2020 et de 361,8 millions de dinars fin 2021. L'endettement en 2020 aurait atteint 2.094,6 millions de dinars. Selon M. Chakchouk jusqu'à 2010, les résultats de Tunisair étaient bénéficiaires avec une moyenne annuelle de 30 millions de dinars. En outre, la société disposait de réserves de 500 millions de dinars.
Le 30 juin dernier, le président de la République Kaïs Saïed a reçu le ministre du Transport Rabie El Majidi et le PDG de Tunisiair Khaled Chelly, où ils ont évoqué le programme de sauvetage de cette entreprise publique « qui fut pendant de nombreuses années l'un des fleurons de ce genre d'établissements avant d'être rongée par la corruption, tout comme de nombreuses autres institutions », avait indiqué un communiqué de Carthage. Le chef de l'Etat a aussi souligné « la nécessité de rétablir son rayonnement d'antan et d'éliminer les causes qui ont conduit à son déclin, le tout en faisant porter la responsabilité totale à ceux qui ont voulu sa faillite afin de la céder ultérieurement, comme cela s'est produit pour un certain nombre d'institutions et d'entreprises publiques ». En outre, il a insisté sur le fait que « le ciel doit être ouvert aux avions tunisiens et non envahi par des avions qui ne laissent pas de place aux avions tunisiens dans leurs essaims ». Le président Saïed s'est également penché sur la nécessité d'améliorer les services au sol et en l'air, rappelant que Tunisair était, pendant de nombreuses années après sa création, à la tête des compagnies aériennes mondiales. Il a aussi noté la nécessité de renouveler la flotte de la compagnie et d'établir un programme pour l'acquisition de nouveaux appareils, ainsi qu'un plan de cession des appareils stationnés dans les aéroports ou de vente de leurs pièces détachées s'ils ne sont plus réparables.
Le hic dans tout cela est que la société avait déjà proposé, à plusieurs reprises, des plans de sauvetage. Le dernier en date a été présenté par Khaled Chelly lors de l'assemblée générale ordinaire pour l'exercice 2018, tenue le 6 mai 2022 à son siège à la Charguia. À cette époque, le PDG avait indiqué que le plan de restructuration avait été préparé au mois d'octobre 2021, qu'il a été soumis au Conseil d'administration, puis au ministre du Transport et par la suite à une commission interministérielle. Et d'ajouter qu'un conseil ministériel était prévu la semaine auparavant. Toutefois, le patron de Tunisair a été victime d'un malaise et a dû être hospitalisé, d'où le report de cette réunion importante. Or, depuis mai 2022, rien n'a été fait et aucune décision n'a été prise par rapport au sauvetage de la société.
Selon le responsable, ce plan de restructuration comprend quatre piliers : une nouvelle stratégie commerciale, une restructuration financière et sociale et une refonte du mode de gouvernance. La nouvelle stratégie commerciale est basée sur les réalisations de 2019. Ainsi, la compagnie a révisé ses lignes et dessertes : un classement de rentabilité de la période 2011-2019 a été établi et seules les lignes qui couvrent le coût d'exploitation ont été préservées, celles déficitaires ou potentiellement déficitaires ont été déprogrammées. Le management avait décidé, suite à ça, le redimensionnement de la flotte, selon les nouveaux besoins : quinze avions en 2022 qui seront portés à 17 avions en 2023 puis à 19 appareils en 2028. En outre, le management avait opté pour une homogénéisation de la flotte avec deux A330 et le reste des A320 néo : ainsi les Boeing 737-600 seront cédés. L'objectif étant d'atteindre une moyenne de douze heures de vol par jour avec un gain de kérosène et effectuer des vols vers l'Afrique, toujours selon le PDG. Au menu aussi un programme de digitalisation et de refonte totale du système dont une grande partie sera destinée aux passagers comme le Web check-in avec sélection des sièges & boarding pass : tout un projet en cours. La compagnie va aussi se focaliser sur le développement du fret, avec la création d'une société dédiée au fret d'ici 2024.
S'agissant de la restructuration financière, elle a commencé par le rééchelonnement des créances : 75% des crédits bancaires ont été rééchelonnés, à part certaines banques privées qui n'ont pas accepté. La SNDP, la CNSS et certains fournisseurs ont aussi accepté le rééchelonnement de leur dette. Plusieurs représentations de Tunisair à l'étranger ont été fermées et la compagnie a baissé les charges afférentes. En outre, la société compte opérer une augmentation de capital, après l'adoption du plan de restructuration par un conseil ministériel et consultation du conseil d'administration. Cette augmentation se fera en deux phases : La première phase sera une augmentation de capital par l'Etat avant de faire appel aux épargnants et actionnaires de la société dans une deuxième phase. Cette augmentation de capital devait être opérée en 2022. Or, nous sommes en juillet 2023 et rien n'a été encore fait. Autre point important, selon le PDG, la compagnie est à la recherche d'un partenaire stratégique.
En ce qui concerne l'assainissement social, Khaled Chelly a rappelé qu'en 2012, la compagnie disposait de trente appareils et le groupe Tunisair employait 8.400 personnes. Il a rappelé qu'il y a un référentiel qui indique que les compagnies lowcost devraient avoir entre 80 à 100 employés par avion et que les compagnies normales devraient mobiliser 120 à 180 employés par avion. En 2013, on avait décidé d'un plan social concernant 1.700 employés, l'Etat avait accepté de donner un certain montant mais le litige concernait la prise en charge par l'Etat des cotisations CNSS, option refusée par la caisse sociale. A la date de la tenue de l'AGO pour l'exercice 2018, le groupe Tunisair comptait 6.950 employés (1.450 employés étant partis à la retraite, ndlr), la société Tunisair-S.A compte 3.200 employés et dispose de quinze avions. Khaled Chelly a affirmé que la société veut parvenir à un ratio de 120 employés par avion. N'ayant pas voulu avancer de chiffre, le PDG avait spécifié que plusieurs employés dont l'âge dépasse les 55 ans veulent partir et que la société veut le départ de plus de 500 employés de la tranche d'âge entre 45 à 55 ans. Ceci dit, il avait souligné que la société va poursuivre le développement de son capital humain avec des ingénieurs et avec des cadres hautement qualifiés et de noter que certains métiers vont disparaître.
Le plan comprend aussi une refonte du mode de gouvernance. Le responsable avait rappelé, dans ce cadre, que Tunisair est la seule entreprise publique qui fait face à une concurrence nationale et internationale, la majorité des autres étant carrément des monopoles. Il a expliqué que la société doit avoir un mode de gouvernance adapté à son activité. L'Etat a ainsi donné son aval pour la simplification des procédures d'achat, le tout sous la supervision du conseil d'administration et son contrôle. Il y aura aussi une séparation entre les postes de président du Conseil d'administration et de directeur général outre un projet de nomination d'administrateur sur la base des compétences et par voie d'appel d'offres.
Tout cela démontre que les problèmes de Tunisair sont tout d'abord financiers. Il se peut que la corruption l'ait entravée mais concrètement ce sont les gouvernements qui se sont succédé depuis la révolution, dont le gouvernement Bouden, qui sont en grande partie responsables de l'enlisement de Tunisair. Les décideurs gouvernementaux n'ont pas réagi rapidement et quand il fallait pour remettre la compagnie sur les rails, ce qui aurait permis qu'elle participe au financement du budget de l'Etat au lieu d'être un fardeau. De mauvaises décisions ont été prises et tous les plans de sauvetage ont fini au placard pour des considérations étrangères à la société. Ainsi, et à moins de mettre en place rapidement le plan de sauvetage, les difficultés de la société vont se poursuivre. Or, le plan de sauvetage prévoit une augmentation de capital dont la première partie sera faite par l'Etat, chose qui sera extrêmement difficile actuellement avec les difficultés des finances publiques.
Depuis 2011, la situation de Tunisair n'a pas cessé de se dégrader et cela malgré les efforts du management de la société. Une situation qui ne risque pas de changer si les autorités de tutelle n'engagent pas le plan de réforme et de sauvetage de la société.