Près d'un mois après la signature de l'accord avec l'Union européenne, rien n'a changé ou presque. Des dizaines de tentatives de migration sont déjouées et des centaines de personnes sont interceptées, presque quotidiennement. Bien sûr les sauvetages se poursuivent et les drames aussi, avec plusieurs pertes humaines. Par contre, le rythme des refoulements vers la Tunisie a augmenté. Alors où en est-on aujourd'hui ? Le 16 juillet dernier, un Mémorandum d'entente entre la Tunisie et l'Union européenne (UE) a été signé en présence du président de la République, Kaïs Saïed, de la présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni, de la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen et du Premier ministre néerlandais démissionnaire Mark Rutte, au palais présidentiel de Carthage. Il s'agit d'un partenariat stratégique et global. Selon le site d'information Euractiv, l'UE s'est engagé à verser 675 millions d'euros à la Tunisie en 2023 dans le cadre d'un accord migratoire. Et de spécifier : « Les fonds proviendront du budget de l'UE au titre du Fonds européen pour le développement durable et comprendront 150 millions d'euros d'appui budgétaire direct. Sur les 675 millions d'euros, environ 105 millions seront alloués à la gestion des migrations, y compris la lutte contre les 'départs irréguliers, les retours des étrangers en Tunisie dans leur pays d'origine, les retours des Tunisiens sans titre de séjour actuellement dans l'UE, et le soutien aux garde-côtes tunisiens avec de nouveaux équipements pour les activités de recherche et sauvetage ». Selon l'ancien député et membre du parti Attayar Majdi Karbai, l'accord avec les Européens stipule le refoulement vers la Tunisie non seulement des Tunisiens mais aussi des clandestins de nationalités différentes : tous ceux qui ont passé les frontières à travers la Tunisie ou qui y ont résidé. Pour sa part le ministre italien de l'Intérieur, Matteo Piantedosi, avait avoué que « l'objectif que l'Italie poursuit est de bloquer les départs » de migrants vers ses côtes. Il avait affirmé que « c'est un objectif qui ne peut être atteint qu'avec des initiatives à moyen et long terme qui conduisent à des solutions stables et durables. Cela prendra du temps, mais nous y parviendrons. Grâce aussi aux accords visant à renforcer la coopération avec les pays de départ ».
Après la conclusion de cet accord, les refoulements auraient repris de plus belle alors que le reste demeure pratiquement inchangé. En effet, M. Karbai, avait affirmé, le 12 août dernier que les autorités italiennes avaient multiplié les opérations de rapatriements depuis la signature en juillet du mémorandum d'entente entre la Tunisie et l'Union européenne. Il avait évoqué des expulsions en masse y compris pour des Tunisiens demandeurs d'asile. Et de souligner la détérioration de la situation des migrants tunisiens irréguliers se trouvant en Italie. Déjà début juillet et avant même la conclusion de l'accord, l'Italie avait rapatrié 4.000 migrants tunisiens.
En parallèle, les garde-côtes tunisiens poursuivent les opérations pour stopper la marée de migration clandestine, en déjouant chaque jour des tentatives de traversées et en interceptant des migrants clandestins. À titre d'exemple, 61 tentatives de migration clandestine maritime ont été empêchées, du 1er au 4 août 2023 dans le district maritime du Centre (Sfax, Kerkennah et Mahdia). 2.077 migrants clandestins, dont 365 Tunisiens, ont été interceptés. Dans ce cadre, M. Piantedosi avait précisé que depuis le début de l'année, la Tunisie « avait empêché le départ de plus de 30.000 migrants irréguliers et mène une lutte acharnée contre les trafiquants ». Pour autant, l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex) a assuré, dans son dernier rapport, que les opérations de migration clandestine détectées aux frontières de l'Union européenne ont augmenté de 13% durant les sept premiers mois de 2023. Le nombre d'arrivées ayant atteignant 176.100, le chiffre le plus élevé enregistré pour cette période depuis 2016. La moitié de ces migrants clandestins ont emprunté la route centrale de la Méditerranée (Tunisie et Libye) pour entrer sur le territoire des pays européens, au moment où l'entrée par d'autres routes migratoires a diminué. Un nombre en hausse de 115%. Le ministère italien de l'Intérieur a soutenu que plus de 23.000 migrants sont arrivés en Italie à partir de la Tunisie depuis début juillet. Selon lui, 58.488 migrants sont arrivés en Italie en provenance des côtes tunisiennes, depuis le début de l'année et jusqu'au 7 juillet 2023, avec en moyenne 268 débarquements recensés par jour. Le flux de migrants a enregistré une hausse de 377% par rapport à la période correspondante l'année dernière.
D'un autre côté, les drames au large des côtes tunisiennes continuent, avec de lourds bilans humains. Le 12 août 2023, une embarcation transportant une vingtaine de Tunisiens a coulé au large de Gabès. Seulement treize personnes ont été secourues. Deux corps ont été repêchés, ceux d'un un nourrisson et un jeune homme de vingt ans. Les autres disparus sont recherchés en coordination avec la Protection civile. Le 9 août 2023, le parquet près le Tribunal de première instance Sfax I a ouvert une enquête après le naufrage d'une embarcation de migration clandestine au large de Lampedusa, qui est partie de Sfax. Sur les 45 migrants à bord, 41 sont morts noyés durant la traversée. Le 6 août 2023, deux personnes ont été secourues et onze corps de migrants ont été repêchés sur la plage d'El Kraten après le naufrage d'une embarcation au large de l'île de Kerkennah. L'embarcation transportait 57 subsahariens. 44 passagers étaient portés disparus. Le même jour, la Garde nationale annoncé avoir repêché, dix corps de migrants clandestins les dernières 48 heures, sur les côtes de Louata (gouvernorat de Sfax).
La conclusion de l'accord entre la Tunisie et l'UE n'a pas changé la donne en Tunisie. Au contraire, en se référant aux statistiques, les tentatives de migration clandestines ont augmenté. Idem pour les drames constatés et les cadavres repêchés.