La Cour africaine des droits de l'homme et des peuples a rendu le vendredi 1 setembre 2023, une décision préliminaire concernant quatre détenus politiques, leur accordant des mesures provisoires urgentes et donnant au gouvernement un délai de quinze jours pour les mettre en œuvre et y répondre. Les mesures émises par la Cour africaine incluent le leader du parti Rached Ghannouchi, ainsi que Seifeddine Makhlouf, le député et leader de la Coalition Al Karama, Noureddine Bhiri du parti Ennahdha et Ghazi Chaouachi, ancien secrétaire général du parti Attayar.
Les mesures prises enjoignent au gouvernement tunisien de prendre toutes les mesures nécessaires pour éliminer les obstacles qui pourraient empêcher les détenus et leurs familles d'accéder aux avocats et aux médecins, en plus d'informer les détenus, leurs familles et leurs avocats des raisons de leur détention. La Cour africaine a également demandé au gouvernement de fournir des informations et des faits suffisants concernant la base légale et la réalité de la détention.
En quoi consiste la cour africaine ?
La cour a vu le jour a travers l'article 1 du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples portant création d'une Cour africaine des droits de l'homme et des peuples. Le Protocole, a été adopté le 9 juin 1998 au Burkina Faso, il est entré en vigueur le 25 janvier 2004, après ratification par plus de quinze pays. La Cour africaine des droits de l'homme et des peuples se trouve au cœur de l'Afrique en Tanzanie, c'est une juridiction internationale créée par l'Union africaine, dans le but de veiller à ce que les droits fondamentaux de l'homme soient respectés en Afrique. Elle œuvre main dans la main avec la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples pour accomplir cette mission. Elle compte la Tunisie parmi ses 55 membres qui a ratifié le protocole de la cour, (seulement 38 pays africains ont ratifié le protocole). Ainsi la Tunisie doit respecter les décisions de la cour, l'article 30 du Protocole instituant la Cour dispose que « les Etats parties au présent protocole s'engagent à se conformer aux décisions rendues par la Cour dans tout litige où ils sont en cause et en assurer l'exécution dans le délai fixé par la Cour ». L'article 27 dispose que « Lorsqu'elle estime qu'il y a eu violation d'un droit de l'homme ou des peuples, la Cour ordonne toutes les mesures appropriées afin de remédier à la situation, y compris le paiement d'une juste compensation ou l'octroi d'une réparation. Dans les cas d'extrême gravité ou d'urgence et lorsqu'il s'avère nécessaire d'éviter des dommages irréparables à des personnes, la Cour ordonne les mesures provisoires qu'elle juge pertinentes ».
L'histoire de la Cour africaine remonte à la création du Protocole additionnel à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, un texte entré en vigueur en 2006. Cette Cour est composée de onze juges élus parmi les candidats proposés par les Etats membres de l'Union africaine, l'un de ces juges est le professeur tunisien Rafaa Ben Achour. La cour africaine a joué le rôle d'un pacificateur et un conseiller. Dans son rôle de pacificateur, elle se penche sur les conflits liés à l'interprétation et à l'application de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, du Protocole et d'autres instruments relatifs aux droits de l'homme que les Etats africains ont ratifiés. Les requêtes peuvent être soumises par la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples, les Etats parties au Protocole ou les organisations gouvernementales internationales africaines, telles que l'Union africaine et les groupes économiques régionaux africains. À ce jour, 27 Etats ont ratifié le Protocole.
La Cour africaine peut également examiner les plaintes individuelles directement liées aux violations individuelles des droits de l'homme, à condition que l'Etat partie ait accepté sa compétence. Malheureusement, seuls sept pays ont fait une telle déclaration jusqu'à présent, ce qui explique pourquoi la Cour a émis relativement peu de décisions sur des questions substantielles. Les individus ou les organisations non gouvernementales dotées d'un statut d'observateur auprès de la Commission peuvent soumettre des affaires.
Lorsque la Cour constate une violation de la Charte africaine, elle a le pouvoir d'émettre des ordonnances appropriées pour réparer cette violation, y compris le paiement d'une indemnité équitable.
Elle peut aussi donner des avis consultatifs sur des questions juridiques liées à la Charte africaine ou à tout autre instrument relatif aux droits de l'homme auquel l'Etat concerné a adhéré. Cela inclut le Comité des experts africains sur les droits et le bien-être de l'enfant. La Cour africaine a confirmé dans une décision consultative en 2014 que le Comité peut demander des avis à la Cour, même s'il ne peut pas soumettre d'affaires à la Cour. Pour rappel la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples a rendu un jugement en septembre 2022, contre les mesures prises par le président tunisien Kaïs Saïed et lui a demandé de "retourner à la démocratie constitutionnelle" et d'annuler plusieurs décrets.
Cela a été fait dans un jugement rendu par la Cour suite à une plainte déposée par l'avocat tunisien Ibrahim Boughith, selon le texte du jugement publié sur son site.
La Cour a demandé "l'annulation du décret présidentiel n°117 du 22 septembre 2021 (mesures exceptionnelles) ainsi que des décrets présidentiels 69 (révocation du Premier ministre, du ministre de la Défense et de la ministre de la Justice par intérim), 80 (suspension des pouvoirs de l'Assemblée des représentants du peuple et levée de l'immunité parlementaire), et 109 (prolongation des mesures du décret 80) émis les 26 et 29 juillet 2021, ainsi que le 24 août 2022, et de revenir à la démocratie constitutionnelle à compter de la date de notification de ce jugement".
Elle a déclaré qu'elle "examine cette affaire en raison de l'absence de la Cour constitutionnelle (en Tunisie) et qu'il n'y a pas d'autre tribunal ou organe dans l'Etat défendeur qui puisse traiter des litiges constitutionnels liés aux pouvoirs du président et portés par des particuliers".
Elle a également ajouté que "les mesures exceptionnelles prises par l'Etat défendeur (la Tunisie) n'ont pas été prises conformément aux lois en vigueur dans l'Etat défendeur et n'étaient pas proportionnées à l'objectif pour lequel elles ont été adoptées".