Alors que plusieurs de ses dirigeants sont derrière les barreaux – Ghannouchi, Ounissi, Bhiri, Harouni, etc – le parti refuse d'abdiquer et ambitionne un renouveau. Cette année est doublement propice au changement, elle est non seulement une année électorale mais pourrait aussi être celle de la tenue du congrès tant attendu du parti. En arabe, Ennahdha veut tout simplement dire « Renaissance ». Après la débandade vécue ces dernières années, c'est une véritable renaissance que le parti essaye visiblement de retrouver en voulant se réinventer. À travers cette « renaissance », le parti chercherait « des points communs avec les forces démocratiques et civiles », c'est du moins ce qu'a déclaré le secrétaire général du parti Ennahdha, Ajmi Lourimi, sur sa page Facebook le 7 janvier 2024. « Changer le nom Ennahdha est possible et cela a été proposé au sein de la commission de la préparation du contenu », a-t-il écrit. Ajmi Lourimi est le nouveau patron du parti islamiste depuis que Rached Ghannouchi – président – et Mondher Ounissi – qui lui avait succédé – aient été tous deux arrêtés. C'est donc à lui qu'incombe la lourde tâche d'organiser le 11e congrès d'Ennahdha. Un congrès qui devrait consacrer « les nouvelles orientations du parti, en tant que parti qui cherche des points communs avec les forces démocratiques et civiles ». D'ailleurs, il ne serait pas exclu non plus de « changer le nom du conseil de la Choura pour devenir conseil national », a aussi annoncé M. Lourimi.
Ce 11e congrès est très attendu, le dernier en date ayant été organisé par le parti en 2016. Ce congrès maintes fois planifié et maintes fois reporté est particulièrement décisif pour Ennahdha. Initialement prévu pour 2020, il avait été officiellement annoncé pour le mois d'octobre 2023, avant d'être à nouveau reporté. Mais, l'organisation de ce congrès, en 2023, avait laissé échapper les voix dissidentes. Certains ont même dénoncé – si ce congrès a lieu – une tentative d'opérer un putsch au sein du mouvement. « Un putsch contre la direction légitime et contre la ligne révolutionnaire et anti-putschiste au sein du mouvement », comme l'a qualifié le lobbyiste et ex-membre du bureau politique, Radwan Masmoudi. Malgré les voix dissidentes, ce congrès reste décisif. Il devrait servir à « renouveler l'offre politique d'Ennahdha et son futur programme national », surtout en pleine année électorale.
Il ne faut pas oublier que cette année est celle de l'élection présidentielle. C'est en effet en 2024 que le pays accueillera – du moins en théorie – la prochaine course vers Carthage. La question de la candidature du parti n'a pas encore été totalement tranchée. Alors qu'ils avaient boycotté toutes les élections organisées par le régime depuis le 25 juillet 2021 – législatives et locales - le parti semble ne pas vouloir suivre le même schéma pour la présidentielle. D'après Riadh Chaïbi, conseiller de Rached Ghannouchi et membre du Front de salut national, le parti est concerné par les élections mais ceci ne veut pas forcément dire qu'il y participera. D'ailleurs, Ennahdha n'a pas encore tranché le nom du candidat qu'il présentera ou soutiendra. On ne sait en effet pas si le parti présentera un candidat de ses rangs ou s'il décidera d'en soutenir un autre au sein du front de salut national. « Le parti reste attaché à la poursuite de l'expérience démocratique en Tunisie et c'est dans ce sens qu'il a appelé toutes les forces démocratiques à soutenir un candidat unique et à poursuivre la voie démocratique », a affirmé Riadh Chaïbi dans une déclaration médiatique. Il ajoute : « le succès de la prochaine étape électorale nécessite la prise de décisions courageuses qui participeront à l'assainissement du climat politique ».
En 2019, le parti avait décidé de présenter son propre candidat au scrutin, contrairement à 2014. C'était Abdelfattah Mourou qui avait été sacrifié sur l'autel des calculs politiques. Le parti l'ayant officiellement présenté comme candidat avant de décider de soutenir la candidature de Kaïs Saïed. Pour le résultat que tout le monde connait aujourd'hui… À l'époque, la candidature d'Abdelfattah Mourou ne faisait pas l'unanimité au sein même du parti, et les chances qu'il devienne le président de la République auquel Rached Ghannouchi – chef du Parlement – devra rendre des comptes, étaient évidemment très minces. Mais l'Histoire ne pardonne pas. Les islamistes s'étaient superbement ramassés en 2019 face au plébiscite de Kaïs Saïed. Ils continueront d'enchaîner les décisions tactiquement discutables et qui effriteront davantage un parti en proie à des luttes intestines. Le leadership de Rached Ghannouchi qui a largement atteint ses limites, les manœuvres politiques maladroites de Mondher Ounissi qui croyait sauver le parti en pactisant avec l'ennemi et l'interminable guerre fratricide entre faucons et colombes. Le tout dans le but de savoir à quoi devra enfin ressembler le nouveau Ennahdha.
Le 10e congrès avait, rappelez-vous, été accompagné d'un revirement tactique. Le 11e pourrait donc bien être celui du « Renouveau ». Mais serait-ce un simple renouveau de façade ? Après toutes ces années, les dirigeants du parti – du moins ceux qui restent – ne semblent pas privilégier la remise en question. Le communiqué du 4 janvier 2024 le prouve encore puisque le parti continue à rendre le régime actuel responsable de tous les maux sans reconnaitre, même un peu, sa responsabilité dans la détérioration du climat politique actuel…