L'ancien ministre Mondher Zenaidi est pressenti pour être candidat à la présidentielle 2024. Mais bien qu'il n'ait pas encore annoncé sa décision, voilà que l'on déterre, comme par hasard, une vieille affaire et que les thuriféraires du régime de Kaïs Saïed annoncent un mandat de recherche à son encontre. Moins d'une semaine après son communiqué lapidaire dans lequel il s'est exprimé sur la situation en Tunisie et dans lequel il a laissé entendre qu'il pourrait être candidat à la présidentielle, Mondher Zenaidi se trouverait sous le coup d'un mandat de recherche. C'est ce qu'indique le thuriféraire du régime de Kaïs Saïed, Riadh Jrad, dans une publication Facebook postée mardi 5 mars 2024 à 22 heures. Information non confirmée par les autorités judiciaires, mais non démentie par M. Zenaidi. D'après M. Jrad, M. Zenaidi serait impliqué dans une affaire de corruption et d'octroi d'un marché public dans le secteur du transport à Sakher El Materi, ex gendre de l'ex président Zine El Abidine Ben Ali. Dans un message envoyé par ses avocats à Business News, Mondher Zenaidi réfute catégoriquement l'accusation en rappelant qu'il était ministre du Commerce au moment de l'octroi de ce marché. D'après eux, il s'agit de la privatisation d'Ennakl Automobiles et qu'il n'a aucun lien au sujet de sa gestion ni de près ni de loin et n'était pas responsable de son évaluation ou de sa cession. Ce qu'affirment les avocats de M. Zenaidi est connu, du reste, par le grand public et les observateurs de la scène publique tunisienne. Précisons, dans la foulée, qu'il y a une enquête à ce sujet et qu'elle dort dans les tiroirs depuis des années. Pourquoi ce dossier a-t-il surgi brusquement sur le devant de la scène et qu'il a été médiatisé par un proche déclaré du régime ? « Comme prévu, la machine de diffamation et de calomnie s'est mise en marche », ont déclaré les avocats de M. Zenaidi dans le message envoyé à Business News.
L'élection présidentielle devrait être organisée en octobre 2024 et plusieurs noms sont en lice pour succéder au président Kaïs Saïed dont le bilan est caractérisé par un putsch, par un parjure concernant son respect de la constitution (il en a pondu une autre taillée à sa mesure), un gouffre économique et financier, une croissance du chômage, des pénuries et des inflations. Le nom de Mondher Zenaidi a commencé à circuler ces dernières semaines et plusieurs observateurs ne voient pas du tout d'un mauvais œil que l'ancien ministre de Ben Ali se porte candidat. Réagissant à ces rumeurs, et sans le nommer directement, le président de la République épingle M. Zenaidi mercredi 28 février en des termes assez durs précisant « qu'il ne tolèrerait pas qu'on se jette dans les bras des parties étrangères en prévision des élections (…) Tantôt on dit que tel ou tel candidat est soutenu par telle ou telle capitale, et tantôt on murmure le nom d'une personne derrière laquelle se cache une autre, et on la présente comme soutenue par telle ou telle capitale. Le candidat qui se jette aux pieds des parties étrangères ne se soucie que de la partie qui lui a promis son soutien et il ne pense ni à l'intérêt du peuple tunisien ni à celui de la Tunisie. » Jeudi 29 février, Mondher Zenaidi publie un communiqué, via sa page Facebook, dans lequel il répond indirectement au président de la République et affirme sa disposition à recourir aux Tunisiens lors des prochaines échéances électorales. Ce n'est pas une annonce de candidature, mais ce n'est pas, non plus, un démenti des rumeurs qui circulent. Une chose est sûre, il a bien démontré qu'il n'entend pas se laisser intimider par le chef de l'Etat. Mardi 5 mars au soir, Riadh Jrad lance son scoop et annonce le mandat de recherche à l'encontre du non-encore candidat. Le message est clair, il s'agit de lui couper l'herbe sous le pied ainsi qu'à tout autre candidat sérieux à la succession de Kaïs Saïed. Mercredi 6 mars au matin, les plateaux des matinales ne parlaient que de cela. Les thuriféraires du régime ont accordé leurs violons pour dire que nul n'est au-dessus de la loi et que la décision judiciaire n'a rien à voir avec les déclarations de la semaine dernière. On est priés de les croire, bien entendu.
Ce qui se passe avec Mondher Zenaidi n'a rien d'étonnant et ce n'est pas une première. D'autres candidates et candidats présumés ont fait l'objet de calomnies et de poursuites judiciaires ces dernières semaines. Candidate déclarée à la présidence, Olfa Hamdi a été impliquée dans une affaire de complot contre l'Etat. Elle est régulièrement injuriée sur les réseaux sociaux. Nizar Chaâri, candidat présumé qui prépare le terrain depuis des années, s'est retrouvé poursuivi dans une affaire d'argent. La machine propagandiste du régime a fait fuiter des documents confidentiels de l'instruction et s'en est prise à sa fille de quatorze ans poussant M. Chaâri à dénoncer publiquement, dans une vidéo diffusée le 17 janvier 2024, ces manœuvres et à déposer plainte contre la ministre de la Justice. Lotfi Mraïhi autre candidat sérieux à la présidentielle s'est retrouvé condamné à six mois de prison fin janvier pour propagation de fausses informations touchant à la sûreté de l'Etat. Une affaire montée de toutes pièces, l'acte d'accusation repose sur une déclaration des plus banales du politicien. « J'ai dit que Kaïs Saïed a échoué, que sa cote de popularité a régressé et qu'il patauge. Cet avis a été, désormais, considéré comme une fausse information », a-t-il déclaré. Bien avant cette dernière vague de poursuites et de révélations, les éventuels candidats sérieux à la présidence, toutes tendances confondues, ont été jetés en prison depuis plus d'un an. Cela va des laïcs Khayam Turki, Issam Chebbi et Ghazi Chaouachi aux islamistes Rached Ghannouchi, Mondher Ounissi et Noureddine Bhiri. En septembre, il a fait écrouer Abir Moussi, qui croit fortement en ses chances et qui bénéficie d'un large soutien populaire, notamment parmi les destouriens.
Cela est évident et il n'est pas besoin d'être un grand analyste pour deviner que Kaïs Saïed ne veut prendre aucun risque pour la présidentielle 2024. Il veut se présenter tout seul ou, à la limite, face à un candidat loufoque. Le filon est trop gros, mais plus c'est gros mieux ça passe, devrait penser Kaïs Saïed. Bon à rappeler, il a lui-même déclaré (et plus d'une fois) qu'il ne laissera aucun traitre prendre la présidence de la République. Qui mieux qu'une justice (aux ordres) pour désigner les traîtres en question et les écarter de la course présidentielle. À ses yeux, tout candidat, même impopulaire, risque de lui voler la vedette en octobre, surtout si l'on sort le slogan classique des présidentielles : « tout sauf Kaïs Saïed » ou son pendant tunisien : « Pain et eau et Saïed non ». Hier, c'était Khayam Turki et Abir Moussi, aujourd'hui c'est Mondher Zenaidi et demain sera tout nom sérieux ou moins sérieux, qui annonce sa volonté de briguer la magistrature suprême.