À moins d'un mois de l'élection présidentielle, le chef de l'Etat a opéré un large mouvement dans le corps des gouverneurs. Les 24 gouvernorats ont désormais de nouveaux responsables nommés à la veille d'un scrutin crucial pour le pouvoir en place. Quelle portée pourrait-on attribuer à ce mouvement ? C'est un dimanche soir, à minuit, que le président de la République, Kais Saied a choisi d'annoncer la liste des nouveaux gouverneurs sur la page Facebook de la présidence. Les Tunisiens ont maintenant l'habitude des annonces tardives survenant en week-end, mais le président a toujours eu le chic de les surprendre. Sous d'autres cieux cela peut paraitre étrange, un dimanche aux abords de minuit il n'y a que les nouvelles extrêmement graves et urgentes qui sont annoncées. En Tunisie, c'est devenu la norme.
Dès les premiers jours de la nomination du nouveau chef du gouvernement, début août, le président avait évoqué le pourvoi des postes vacants au niveau des gouvernorats. Mais il n'était pas dit que tous les gouverneurs sans exception, allaient sauter, même ceux faisant partie du premier cercle du processus du 25-Juillet. Neuf gouvernorats étaient sans dirigeants après un limogeage ou une promotion de leurs anciens titulaires : Tunis depuis mars 2023, Ariana depuis août 2023, Béjà depuis août 2022, Kairouan, Gabès depuis mars 2023, le Kef depuis octobre 2022, Mahdia depuis mars 2024, Monastir depuis mars 2024 et Sfax depuis janvier 2023. Le tiers des gouvernorats étaient sans responsable chargé de représenter personnellement le président de la République dans chacune de ces régions. Des vacances qui suscitaient les interrogations, surtout que président ne semblait pas presser de les combler.
Mais voilà donc Kais Saïed qui opère son large mouvement sur les 24 gouvernorats. Pour ceux qui suivent de près les événements politiques et la direction des vents, le constat est sans équivoque. Il s'agit tout bonnement d'une purge du premier cercle du processus du 25-Juillet, mais aussi des fidèles parmi les Watad et les nationalistes-arabes. Le limogeage du gouverneur de Ben Arous, de Bizerte et de Sidi Bouzid ont fait grand bruit, tant ils représentaient à eux trois l'esprit du « massar » et reprenaient avec ferveur et déférence les éléments de langage et les consignes présidentielles. Mention spéciale à Ezzedine Chelbi, ex-gouverneur de Ben Arous, qui aura été la star incontestable des gouverneurs et dont le départ a suscité « l'émoi ». Mention spéciale à tous ces responsables qui n'ont été que des fusibles. Si pour le grand public les nouveaux sont, pour la plupart, des inconnus, il n'en reste pas moins que le président n'est pas allé chercher loin. Beaucoup sont d'anciens secrétaires généraux de gouvernorats connus pour leurs bons et loyaux services rendus à la cause juilletiste. Certains sont aussi d'anciens candidats malheureux aux dernières législatives ou aux conseils locaux et régionaux.
Ce qui ressort surtout de ce mouvement sur l'ensemble du corps des gouverneurs, c'est le timing. Dans les us et coutumes politiques partout dans le monde, on n'opère pas de nominations de hauts responsables gouvernementaux à la veille d'un scrutin présidentiel. L'on part du principe qu'une élection pourrait amener un nouveau président qui devrait choisir son administration, ses collaborateurs. Ceci est un fait établi, à moins que quelqu'un sache d'avance les résultats du scrutin du 6 octobre et ait la certitude que tout resterait en place. Quelle autre explication ? Avant les 24 gouverneurs, le président avait aussi remanié tout le gouvernement. De nouveaux ministres sont entrés en activité, alors qu'il se pourrait qu'ils ne restent à leurs postes que quelques semaines. La logique voudrait qu'on attende les résultats des élections pour installer une nouvelle équipe, mais ceci ne semble pas faire partie des considérations présidentielles. D'ailleurs, anticipant les remarques sur l'étrange timing du remaniement, Kais Saïed avait dit que les voix critiques devaient distinguer entre cet événement et la sûreté de l'Etat et son bon fonctionnement. Il avait indiqué que certains perturbaient le bon fonctionnement des institutions de l'Etat de façon quotidienne dans le but de semer le chaos en lien avec cette élection. « L'Etat continuera à exister et sa sécurité nationale passera avant toute autre considération... Si l'intérêt supérieur du pays nécessitait un remaniement même après l'ouverture des centres de votes, ceci aurait eu lieu sans aucune hésitation... ».
La chose est ainsi dite. Le calendrier du président aura beau être déconnecté de la réalité du calendrier électoral, cela est censé paraitre normal. Le large mouvement dans le corps des gouverneurs, et avant lui le remaniement ministériel, à la veille de l'élection présidentielle, semble s'inscrire dans une optique de consolidation du pouvoir et de renforcement de son contrôle centralisé. Le timing, atypique, n'est pas anodin et Kais Saïed chercherait à garantir la loyauté chez les nouveaux représentants (qui se serait affaiblie chez les anciens ?) tout en consolidant son influence à l'approche du scrutin.