Le docteur en sciences économiques, enseignant-chercheur à l'Université de Carthage et expert consultant, Aram Belhadj, est revenu, jeudi 7 novembre 2024, sur la proposition de loi portant sur la révision du statut de la Banque centrale de Tunisie (BCT), sous le titre de "l'amendement du statut de la BCT, entre bonnes intentions et risques périlleux !". « Je voulais faire quelques remarques après avoir lu la proposition de loi portant sur la révision du statut de la BCT. L'intention peut être bonne. Mais, pour moi, pour une loi de cette importance, il faut consulter les spécialistes. Avec tout mon respect aux élus qui ont initié ce projet, il était important d'écouter les spécialistes dans le domaine monétaire et financier, leurs avis étant très importants, car une simple intention n'est pas suffisante : une bonne intention pouvant conduire à des répercussions négatives ou même désastreuses », a expliqué l'expert dans une vidéo postée sur son profil Facebook.
En outre, il a estimé que les élus auraient consulté des expériences comparées de par le monde, en ce qui concerne l'indépendance des banques centrales, le recours au financement direct de ces institutions et le rôle élargi de ces institutions. Et de souligner : « L'indépendance d'une banque centrale ne veut pas dire un pays dans un autre. Mais, cela veut dire qu'on a une institution nationale chargée d'un ou plusieurs objectifs et donc qui doit avoir les moyens et la sécurité nécessaires pour qu'elle parvienne à réaliser les objectifs qui lui ont été assignés ».
M. Belhadj s'est interrogé sur les raisons de cet amendement et si in fine s'en dégageait une chose positive pour l'Etat et le peuple tunisien. Il a noté que ce projet a été mis en place pour contenir l'endettement et pour que l'autorité monétaire s'investisse davantage dans le développement et la croissance. Or, le déficit budgétaire de la Tunisie provient d'un déficit primaire (hors remboursement de la dette) qui est important, a-t-il précisé. Donc, pour lui, le problème n'est pas l'endettement en soi, mais le problème est que les dépenses dépassent largement les recettes. Concrètement, il faut rationaliser les dépenses avant de maîtriser l'endettement, et en parallèle renforcer les recettes. La maîtrise des dépenses ne peut se faire qu'à travers plusieurs réformes qui concernent notamment la compensation, la fonction publique, les entreprises publiques, les caisses sociales alors que le renforcement des recettes passe par la réforme du système fiscal, la lutte contre le secteur informel, la réforme de l'économie rentière, etc. Ainsi, la problématique n'est pas l'endettement mais le fait que la balance est totalement déséquilibrée et doit être rééquilibrée. S'agissant de l'objectif d'impliquer davantage la BCT dans le développement et la croissance, l'expert a estimé que c'est un point positif. Mais, cela ne passe pas, selon lui, par l'atteinte à l'indépendance de l'institution. Il fallait coordonner plus et éventuellement amender quelques articles du statut. En outre, il a indiqué que pour donner à l'autorité monétaire plus d'objectifs à réaliser, il fallait lui donner plus d'instruments, en se référant au principe de cohérence de Tinbergen (la Règle de Tinbergen). Or, ce qui s'est passé c'est que la BCT a été privée de son instrument principal : gérer indépendamment le taux d'intérêt directeur.
Concernant l'objectif de ce projet qui vise à renforcer la souveraineté nationale via la rationalisation de l'endettement, Aram Belhadj pense que cette initiative ne va pas permettre la maîtrise de l'endettement : ce qui peut arriver c'est un changement dans la structure de l'endettement, d'un endettement extérieur vers un endettement intérieur, et qui est pour lui une orientation erronée. « Dans les meilleures des cas, ce choix sera le moindre mauvais. Mais ne peut être la solution ! », a-t-il commenté. Et de remarquer que « selon le projet de la loi de finances 2015, l'endettement ne va pas baisser, au contraire, il va augmenter. Et le fait de libérer les mains de l'exécutif des liens qui l'entravaient pour recevoir des financements va engendrer de graves risques. Il fallait un cadre solide de gestion de la politique monétaire et une discipline budgétaire : l'Etat doit maîtriser son budget, ses dépenses et renforcer ses ressources. Là, on peut parler de maîtrise de l'endettement et d'un retour à une souveraineté nationale ». Et de marteler : « Compter sur soi n'est pas de compter sur les banques ou la BCT mais de compter sur nos capacités, renforcer notre production et productivité et réformer notre économie. Là, on consacre la souveraineté nationale ».
Rappelons que 27 élus ont déposé une proposition de loi portant sur la révision du statut de la Banque centrale de Tunisie (BCT). Cet amendement toucherait directement l'indépendance de l'autorité monétaire, en lui imposant de nouveaux rôles et en l'empêchant de jouer le sien sans ingérence politique.