Hattab Ben Othmen, condamné hier à quatorze ans de prison ferme, n'est pas inconnu des milieux judiciaire et politique. Il est président du syndicat des agents et cadres de la justice et proche des islamistes, y compris les radicaux. Pendant longtemps, il a été leur homme des basses besognes. Le tribunal de première instance de Tunis a condamné, mercredi 11 décembre 2024, le président du syndicat national des agents et cadres de la justice, Hattab Ben Othmen, à quatorze ans de prison ferme. Une peine lourde qui dépasse, parfois, celles prononcées pour des meurtres. Trois membres de son syndicat ont été condamnés, à leur tour, à des peines allant de trois à cinq ans et trois mois de prison. Hattab Ben Othmen est accusé de blanchiment d'argent, de falsification, de détention et d'utilisation de faux documents, de spéculation immobilière, de collecte de fonds sans autorisation et d'autres infractions liées à la gestion du syndicat.
La montée en puissance d'un personnage controversé Né en 1973, Hattab Ben Othmen s'est fait connaître en juillet 2020 quand il a démenti le président Kaïs Saïed via un communiqué officiel de son syndicat dans l'affaire de la voiture du ministre islamiste du Transport, Anouar Maârouf. L'affaire a fait grand bruit à l'époque quand la fille du ministre a fait un accident avec la voiture officielle du ministère, une Audi Q5. Une instruction judiciaire a été ouverte, mais miraculeusement le dossier aurait disparu du tribunal, si l'on croit les propos de Kaïs Saïed. Tous les yeux se sont alors braqués vers les islamistes infiltrés dans le palais de justice, Hattab Ben Othmen en tête. Il se trouve que le parquet a rapidement démenti le chef de l'Etat affirmant que le dossier n'a pas été égaré. Hattab Ben Othmen a, pour sa part, voulu faire du zèle en démentant à son tour Kaïs Saïed le qualifiant de menteur (fasiq) dans un communiqué de son syndicat. Dans une déclaration médiatique, il a nié farouchement la disparition du dossier de la Q5, précisant qu'il y a tous les jours des dossiers qui se perdent. « Il y a des corrompus dans tous les secteurs, y compris parmi les magistrats, les avocats et les auxiliaires de justice. Il y a tous les jours des dossiers qui se perdent. Cela ne veut pas dire qu'ils ont été dérobés. Il faut des preuves pour lancer ce genre d'accusations », se défend-il dans une déclaration médiatique. À cause de la Covid, l'affaire est rapidement oubliée, mais Kaïs Saïed n'a pas oublié Hattab Ben Othmen.
Une enquête déterminante en 2023 Il fallait attendre février 2023 pour que son nom revienne aux devants de la scène. Une autre instruction judiciaire est ouverte le concernant et les accusations sont très graves puisqu'on parle de blanchiment d'argent, de falsification de documents officiels, de spéculation immobilière et d'avoir dérobé des objets saisis par la justice. C'est l'avocate très proche du régime Wafa Chedly qui révèle la première l'affaire à travers un post Facebook dans lequel elle affirme que Hattab Ben Othmen a été déféré devant une chambre spécialisée. L'intéressé dément ironiquement en se prenant en photo devant un couscous à l'osbane et en se moquant de l'avocate du régime. Il se croyait encore tout-puissant et au-dessus de la loi. Mal lui en a pris, l'information de Me Chedly était juste. M. Ben Othmen est bel et bien déféré et il a été convoqué quelques jours plus tard. Mis en garde à vue le 15 février, il a été traduit le 21 février devant un juge d'instruction qui a décidé de le libérer. Mauvaise décision : le juge a été suspendu immédiatement après et Hattab Ben Othmen a été de nouveau arrêté au petit matin le 22 février pour être placé en garde à vue une seconde fois. Il est présenté devant un autre juge le 24 février qui émet, alors, un mandat de dépôt. Ses avocats, qui avaient bien médiatisé l'affaire jusque-là, ont maintenu le silence depuis, et ce jusqu'à sa condamnation hier. Ils n'ont rien communiqué sur le dossier et les accusations.
Le rôle trouble d'un syndicat fantôme Si l'affaire Hattab Ben Othmen défraie la chronique, c'est parce que tout autour de lui sent le soufre. Totalement inconnu du monde syndical, il a réussi à se faire un nom en tant que président de syndicat des agents et cadres de la justice. Un poste a priori prestigieux, mais c'est tout simplement de la poudre aux yeux. Le syndicat en question n'est affilié à aucune centrale syndicale. L'UGTT, en première ligne, a démenti, plus d'une fois, que le bonhomme ait jamais milité dans ses rangs ou appartenu à ses organes. Le syndicat que préside M. Ben Othmen est en effet un syndicat fantôme, une sorte de bulle médiatique sans bases réelles. Dans les couloirs des palais de justice, agents, auxiliaires et cadres disent ne pas appartenir à ce syndicat monté de toutes pièces. D'après nos investigations, Hattab Ben Othmen est une création du parti islamiste Ennahdha, infiltré dans le palais de justice par Noureddine Bhiri. Il ne s'en cache même pas : on le voit dans les réunions au siège d'Ennahdha ou en photos avec les hauts cadres du parti islamiste, dont Rached Ghannouchi, Habib Khedher, Ali Larayedh ou Yamina Zoghlami. Tout fier, il s'est même pris en photo avec l'islamiste radical Seïfeddine Makhlouf, président du parti islamiste radical Al Karama. Aux premiers jours de sa garde à vue, de sa libération puis de sa seconde garde à vue, ce sont les avocats islamistes notoires qui prenaient sa défense sur les réseaux sociaux et dans les médias.
Une condamnation éclairante Même en l'absence de preuves formelles, les suspicions sont quand même assez sérieuses quant à son implication dans la perte du dossier de la Q5. Les accusations de Kaïs Saïed ne peuvent pas être totalement infondées, quoique démenties par le parquet à l'époque. Hattab Ben Othmen personnalise à merveille la pieuvre à travers laquelle les islamistes ont infiltré l'appareil judiciaire. Le scandale de la Q5 n'est qu'un parmi d'autres scandales qui ont bousculé les affaires judiciaires, avec disparition de pièces à conviction, falsifications de preuves, etc. Inévitablement, le président du syndicat se trouve en première ligne des suspects, d'autant plus que le syndicat n'a pas de grandes bases et n'est pas affilié à un syndicat connu comme l'UGTT ou l'UTT. Dès lors, les accusations de falsification de preuves ou de collecte de fonds sans autorisation trouvent du sens. Elles collent parfaitement au personnage et le jugement de quatorze ans de prison vient confirmer ces suspicions. De quoi alimenter toutes les rumeurs sur les réseaux sociaux. À lire ce qu'y s'écrit, Hattab Ben Othmen serait propriétaire de plusieurs immeubles acquis grâce aux islamistes. L'épouse de M. Ben Othmen, Rym, dément farouchement jurant ses grands dieux que le couple ne possède qu'un lopin de terre non construit et qu'il loue la maison familiale située au quartier populaire et précaire d'El Kabaria. Alors que son époux est en prison, la dame dit qu'elle subvient à ses besoins grâce à de petits boulots et aux aides de sa famille et sa belle-famille. En dépit des démentis formels de la dame, Hattab Ben Othmen a bel et bien été condamné pour, entre autres, spéculation immobilière.
Une page sombre se referme Quoi qu'il en soit, c'est un vrai valet des islamistes qui est tombé. Sa condamnation tourne la page d'une époque noire de la Tunisie, celle des accointances entre l'appareil politique et l'appareil judiciaire. La page est tournée, mais le livre est encore ouvert, car ces accointances existent encore. Hattab Ben Othmen a laissé des clones derrière lui.