Les entreprises communautaires figurent parmi les priorités du chef de l'Etat. Sur le total des entreprises communautaires créées, 42 ont reçu un financement global de douze millions de dinars, soit 285.714 dinars en moyenne par entreprise. Curieusement, 50% seulement ont réellement démarré leurs activités. Les sociétés communautaires font partie des projets les plus chers aux yeux du président de la République, sinon le pilier de sa politique pour la création d'emplois et de richesses. Assurément, le sujet est éminemment politique et est scruté de près par tout le monde. Assurément, également, les membres du gouvernement tendent à embellir le sujet autant qu'ils peuvent afin d'obtenir un satisfecit de leur président. Le souci est que dans l'embellissement des chiffres et de la situation, le réel vient toujours prendre le dessus. Inévitablement, la vérité finit par trôner. Et c'est l'Histoire si chère à Kaïs Saïed qui nous l'enseigne.
Discordance des chiffres officiels Il s'avère que dans le sujet des entreprises communautaires, il y a une véritable discordance de chiffres. Un jour ou l'autre, cela finira par éclater devant le président de la République qui se rendra compte, ce jour-là, que la réalité est bien différente de celle que ses ministres veulent bien la lui dessiner. Les chiffres sont têtus et les déclarations ministérielles se sont entremêlées dedans. La première société de ce genre a été créée en mars 2022. Début 2024, l'ancien ministre de l'Emploi, Malek Zahi, se targuait de la création de cent entreprises au total, soit une moyenne de cinquante par an. Mais fin 2024, Hasna Jiballah, secrétaire d'Etat chargée des sociétés communautaires, annonce que 120 entreprises ont été créées en tout, soit seulement vingt de plus sur toute l'année 2024. Un peu plus d'un mois après, on annonce qu'il y en a eu 25 de plus pour le seul mois de janvier 2025. Le « on » ce sont le ministre de l'Emploi et de la Formation professionnelle, Riadh Chaouad, qui a déclaré le 7 février sur Jawhara FM que 144 entreprises ont été légalement créées. Le lendemain, le samedi 8 février, Hasna Jiballah, secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Emploi et de la Formation professionnelle, chargée des sociétés communautaires, annonce que le nombre d'entreprises communautaires a atteint les 160 dont 145 ont été légalement créées. Les propos de Mme Jiballah manquent de sens. Comment peut-elle comptabiliser une société alors que celle-ci n'a pas encore été créée ? Sur quelle base a-t-elle communiqué ce chiffre de 160 ? Autre question, pourquoi son chiffre d'entreprises légalement créées est différent de celui de son ministre à 24 heures d'intervalle, durant un week-end où théoriquement l'administration est fermée ?
Le Registre national des entreprises : des chiffres divergents Le souci est que le chiffre de 144 ou 145 dont parlent le ministre et sa secrétaire d'Etat ne correspondent pas au chiffre que nous donne le Registre national des entreprises (RNE) qui est l'unique et seul référent officiel de l'Etat pour nous fournir les véritables données. D'après une recherche effectuée par Business News au début du mois de janvier, le nombre de sociétés communautaires est de 64 seulement. Le même chiffre que nous avons constaté à la fin du mois de janvier. Officiellement donc, d'après le RNE, il n'y a eu aucune création de société communautaire au cours du mois de janvier. En revanche, une consultation du même RNE aujourd'hui, mercredi 12 février 2025, nous informe qu'il existe 66 entreprises communautaires. Soit deux entreprises de plus au cours de ce mois. On reste loin des 144 entreprises du ministre et des 145 entreprises de sa secrétaire d'Etat.
Entreprises créées vs entreprises effectives M. Chaouad et Mme Jiballah se targuent du nombre d'entreprises créées, mais combien sont-elles effectives réellement ? Le 18 décembre 2024, Mme Jiballah affirme sur Mosaïque FM, que sur le total des sociétés communautaires créées, seules 21 d'entre elles sont effectivement opérationnelles. Le 7 février 2025, M. Chaouad affirme sur Jawhara FM que sur le total des sociétés communautaires créées, seules 21 d'entre elles sont effectivement opérationnelles. En clair, si l'on croise les propos du ministre et de sa secrétaire d'Etat, on conclut qu'il y a zéro nouvelle entreprise opérationnelle en près de deux mois.
Financements et objectifs : un fossé grandissant Au-delà du nombre réel ou gonflé, il y a d'autres chiffres ahurissants donnés, probablement par mégarde, par le ministre de l'Emploi. Dans sa déclaration à Jawhara, il a affirmé que 42 des 144 entreprises communautaires ont eu accès à un financement global de douze millions de dinars. On conclut donc que 50% seulement des entreprises qui ont obtenu un financement ont rempli leurs engagements et sont devenues opérationnelles. Le plus affligeant est qu'un simple calcul montre que chacune des entreprises communautaires a reçu une enveloppe de quelque 285.714 dinars et que 50% des entreprises qui ont reçu cette enveloppe n'ont pas encore démarré leurs activités. Encore plus ahurissant, pour 2025, on envisage d'augmenter l'enveloppe de financement pour qu'elle monte à un million de dinars. Mieux encore, la secrétaire d'Etat veut que les centres de formation professionnelle orientent leurs cours pour servir aux promoteurs d'entreprises communautaires. Qui va dispenser ces cours ? Quelle est la formation de ces formateurs ? Y a-t-il des manuels et par qui ont-ils été établis ? Y a-t-il un seul modèle du genre dans le monde ? On a zéro réponse.
Des objectifs déconnectés de la réalité Dans l'analyse des chiffres donnés par le ministre et la secrétaire d'Etat, il y a un autre point qui interpelle, celui des objectifs. À plusieurs reprises, en décembre 2024 et en février 2025, Mme Jiballah a affirmé que les objectifs de 2025 sont de créer cinq entreprises communautaires par jour, soit 1.500 entreprises communautaires avant la fin 2025. En se basant sur ces objectifs, théoriquement le nombre d'entreprises créées en janvier devrait être de 125 nouvelles entreprises. Or si l'on suit les chiffres du RNE, le nombre de nouvelles entreprises créées en janvier a été de zéro et de deux entre le 31 janvier et le 12 février. Si l'on suit les chiffres fournis par Mme Jaballah, le nombre de nouvelles entreprises créées est passé de 120 en novembre 2024 à 145 au 8 février 2025. Soit 25 nouvelles entreprises en plus de trois mois. Si l'on croise le chiffre de la secrétaire d'Etat donné en décembre et celui du ministre donné en février, on a zéro nouvelle entreprise opérationnelle en l'espace de deux mois. On est loin, bien loin, des 125 entreprises par mois de l'objectif officiel que cette dernière a, elle-même, donné.
Une absence de vision économique solide Tout cet argent et tous ces moyens vont être alloués à des entreprises dont la viabilité économique n'a été démontrée dans aucun pays. Aussi bien le ministre que la secrétaire n'ont dévoilé à ce jour aucune étude d'impact sur ces entreprises. En clair, on est en train de jeter des millions de dinars de l'argent du contribuable, avec zéro vision basée sur une étude scientifique reconnue. L'argent dépensé n'est utilisé qu'à hauteur de 50% si l'on croit le chiffre du ministre et, malgré ces millions de dinars distribués (on ne sait pas du tout comment, soit dit en passant), M. Chaouad et Mme Jiballah n'arrivent même pas à atteindre leurs propres objectifs qu'ils ont eux-mêmes annoncés publiquement.