« Le grand reportage » sur l'affaire dite du complot contre la sûreté de l'Etat a été diffusé sur la chaîne Attessia dans la soirée du vendredi 28 février 2025. Réalisée dans le cadre de l'émission RDV 9, cette enquête a été suivie d'un étalage des détails du dossier par le « chroniqueur » Riadh Jrad. L'émission a suscité une vive polémique, notamment en raison des propos tenus par Jrad, et a relancé le débat autour de cette affaire. Le reportage, annoncé en grande pompe par Riadh Jrad – connu pour sa proximité avec les cercles du pouvoir – intervient dans un contexte hautement sensible, à quelques jours de l'ouverture du procès, prévue le 4 mars. Or, les autorités ont décidé que les audiences se tiendraient à distance pour les détenus, alors que les avocats et les familles des accusés réclament un procès public, afin que l'opinion nationale et internationale puisse prendre connaissance des tenants et aboutissants de l'affaire. Par ailleurs, et malgré l'interdiction judiciaire de tout traitement médiatique de ce dossier, Attessia a diffusé une émission se prétendant exclusive, bien que la chaîne soit connue pour ses prises de position tranchées en faveur du pouvoir en place. L'orientation partisane de la chaîne était d'ailleurs flagrante à travers l'intervention de Riadh Jrad qui, muni d'un tas de documents, s'est improvisé représentant de la Justice et du pouvoir, détaillant les accusations portées contre les suspects tout en dénigrant l'opposition, les familles des prisonniers et même certains médias. À quelques jours du procès devant les tribunaux, le public a assisté à un jugement avant l'heure, où le verdict semblait déjà prononcé et où la présomption d'innocence a été largement bafouée.
Avant même la fin de l'émission, les réactions ont fusé de toutes parts. Le dirigeant du parti Attayar, Hichem Ajbouni, a commenté l'émission en déclarant : « La montagne a accouché d'une souris… Nous les défions d'organiser un procès public et de le diffuser en direct pour l'opinion publique. Et voilà qu'un de leurs petits porte-voix prétend que nous sommes terrifiés à l'idée de voir le dossier rendu public ! Eh bien, nous les défions encore une fois de parler des détails de l'ordonnance de clôture de l'instruction, des scandales et absurdités qu'elle contient, en présence d'un des avocats de la défense ! Ils ont tellement confiance en eux et en leur récit mensonger que le plateau de la chaîne Attessia ressemble à une scène où l'un chante et l'autre lui fait écho… Autrement dit, la partie représentant les soi-disant 'conspirateurs' a été exclue, et ce, au nom du débat équilibré ! ». Sur un ton ironique, l'avocate et sœur du détenu politique Jaouhar Ben Mbarek, Dalila Ben Mbarek Msaddek, a réagi au reportage, et plus particulièrement à l'intervention du chroniqueur de l'émission, en soulignant : « L'ordonnance de clôture de l'instruction ? Il n'en a pas lu un seul mot !! Il s'est juste accroché au rapport d'un expert privé (spécialiste en tout et dont la crédibilité est contestée), un rapport dont même le juge d'instruction n'a retenu qu'une infime partie… Et voilà qu'il se met à broder et à extrapoler ! Bref, merci à la chaîne Attessia ! ». Toujours dans le même ordre d'idées, l'ancien membre de la Ligue tunisienne de défense des Droits de l'Homme, Fethi Hammami a assuré, « Un journalisme biaisé ne sert pas la vérité ! L'émission RDV 9 ou plutôt Rendez-vous avec un seul avis a bien mérité ce nom aujourd'hui. Elle a présenté ce qu'elle a appelé une "enquête" sur l'affaire dite du complot contre la sûreté de l'Etat, puis a donné la parole exclusivement à ceux qui défendent la thèse du complot, distribuant les accusations à tout-va ! Où est la version contraire, celle que défend le collectif des avocats dans ce dossier sensible ? Elle était tout simplement absente du plateau… Car pour les organisateurs de cette émission, assurer une couverture médiatique équilibrée n'a manifestement que peu d'importance ». Dans un bref statut sarcastique, l'avocat, Samir Dilou a assuré : « Et la plus grande preuve de leur conspirationnisme est leur silence devant l'officier de la police judiciaire ». Une phrase qu'il reprend mot à mot Riadh Jrad, qui avait avancé le mutisme des prévenus comme étant une preuve infaillible de leur culpabilité. L'ancienne magistrate et présidente de l'Association des magistrats tunisiens (AMT), Kalthoum Kennou s'est exclamée : « On savait qu'il existait un interrogatoire préléminaire mené par le juge d'instruction... Mais on ignorait qu'il y avait désormais un "pré-procès" diffusé dans un média ! ». L'activiste et présidente de l'association Intersection, Asrar Ben Jouira s'est indignée du contenu du reportage en publiant : « Depuis l'interdiction de commenter l'affaire dite du complot contre la sûreté de l'Etat, tous les médias ont évité d'en parler ou de consulter les avocats par crainte du décret 54... Et voilà que la chaîne Attessia, dans son émission RDV9, consacre un plateau entier à l'affaire ! Ses chroniqueurs exhibent le dossier, divulguent des données personnelles et lisent même l'ordonnance de clôture de l'instruction mot pour mot, sous les yeux d'un Etat qui reste spectateur... Alors, Attessia est-elle une chaîne au-dessus de l'Etat ou bien est-elle l'Etat lui-même ? ». Le secrétaire général d'Attayar Nabil Hajji a commenté, également, le reportage en ces termes : « Ils vous ont dit de regarder le contenu avant de les critiquer. Eh bien, on l'a regardé. Et du contenu, il y en avait… Du contenu purulent, même… ».
Cependant, chez les partisans du président et du processus du 25-Juillet, c'est l'explosion de joie. Tous les aficionados étaient de sortie sur les réseaux sociaux pour encenser l'émission et son contenu, et déverser, une fois n'est pas coutume, leur bile contre les accusés. Parmi eux, Nabil Rabhi connu pour son soutien inconditionnel au pouvoir qui se réjouit des révélations de l'émission en assurant : « Après l'émission de la chaîne Attessia... Que celui qui a une pierre la jette ! Vive la Tunisie ! ».
Ramzi Atoui, se présentant comme blogueur et fervent défenseur du processus du 25-Juillet, a indiqué : « Après ce que vous avez vu aujourd'hui sur Attessia , tout le monde connaît désormais la vérité sur le dossier du complot contre la sûreté de l'Etat. Si quelqu'un ose encore vous sortir la fameuse phrase : "Dossiers vides…", demandez directement le numéro de Razi (l'asile, Ndlr.) pour qu'ils viennent chercher de force... et affaire classée ! ».