Le dernier rapport des commissaires aux comptes de la BH Bank alerte sur un engagement massif de plus de 450 millions de dinars contracté par un seul client : l'homme d'affaires Adel Ben Romdhane, récemment enfui en Espagne. Cette exposition, qui dépasse les seuils réglementaires autorisés, pose la question d'un risque systémique pour la banque publique. Et ce n'est pas le seul nuage qui plane au-dessus de la BH Bank en 2025. L'homme d'affaires Adel Ben Romdhane, considéré comme l'un des plus gros exportateurs tunisiens d'huile d'olive, entraînera-t-il dans son sillage la BH Bank ? C'est ce que laisse croire le rapport des commissaires aux comptes de la banque publique, publié hier, jeudi 17 avril 2025.
Un rapport alarmant des commissaires aux comptes Dans leur rapport, les commissaires aux comptes Emna Rachikou (FMBZ KPMG Tunisie) et Walid Ben Ayed (Consulting and Financial Firm) écrivent ce qui suit : « Au 31 décembre 2024, un groupe d'affaires opérant dans le secteur oléicole présente un total engagement de 450,757 millions de dinars auprès de la banque. Bien que cette exposition soit classée parmi les actifs sains et ne comporte pas d'impayés au 31 décembre 2024, plusieurs événements postérieurs à la clôture de l'exercice ont mis en lumière des signaux de détérioration de la qualité de crédit de cette contrepartie et des couvertures y afférentes. Ces événements, conjugués à des difficultés rencontrées par le groupe dans le recouvrement de ses propres créances commerciales, augmentent le risque de crédit supporté par la banque et justifient un reclassement de cette exposition en créance incertaine, conformément aux règles prudentielles en vigueur. »
Adel Ben Romdhane dans le viseur Le groupe d'affaires dont parlent les commissaires aux comptes est celui de Adel Ben Romdhane, comme l'ont deviné plusieurs observateurs, dont nos confrères d'Il Boursa. Suite à l'arrestation de son concurrent Abdelaziz Makhloufi, à la pression exercée par l'Etat pour faire baisser le prix de l'huile d'olive, puis à l'entrée en vigueur de la nouvelle réglementation sur les chèques, M. Ben Romdhane s'est enfui en Espagne au début de cette année, laissant derrière lui le marché oléicole en pleine tourmente. L'homme d'affaires a toujours été en règle avec sa banque, ses fournisseurs et ses clients, jusqu'au 31 décembre 2024, si l'on se tient au rapport des commissaires aux comptes et aux témoignages de ses partenaires. Sauf que la donne a changé avec sa fuite et les dettes qu'il laisse derrière lui.
Des seuils réglementaires largement dépassés L'encours qu'il détient auprès de la BH Bank est considérable, puisqu'il représente à lui seul plus de la moitié du produit net bancaire (PNB) de la banque. D'après les états financiers arrêtés au 31 décembre 2024, le PNB de la BH est de 744,228 millions de dinars. Son résultat net est de 108,511 millions de dinars. L'encours de M. Ben Romdhane étant de 450,757 millions de dinars, l'image devient très claire sur cet engagement irréaliste de la banque avec un seul client. « La Banque centrale de Tunisie a mis un plafond à ne pas dépasser de 20 %. Visiblement, si cet engagement est sur une année ou deux, ce ratio n'est pas respecté ! », relève l'ancien ministre Faouzi Ben Abderrahman. Le montant dépasse même le capital de la banque, qui est de 238 millions de dinars, comme le souligne à son tour l'expert Walid Bel Hadj Amor. En effet, si l'on revient à la réglementation de la Banque centrale, on trouve que l'exposition dépasse largement la limite de concentration des risques autorisée par la BCT, fixée à 20 % des fonds propres nets. Selon la circulaire de la BCT n° 91-24 du 17 décembre 1991 (et ses mises à jour), « le total des risques encourus envers un même bénéficiaire ou un même groupe de bénéficiaires liés ne peut excéder 20 % des fonds propres nets de la banque. » Les commissaires aux comptes relèvent une autre réglementation de la Banque centrale, la 2018-06 qui concerne les normes prudentielles applicables aux banques et établissements financiers, et intègre les nouvelles exigences de la loi bancaire n°2016-48. Ce que dit cet article 52 : « Le montant total des risques encourus sur les personnes ayant des liens avec l'établissement assujetti au sens de l'article 43 de la loi n°2016-48 relative aux banques et aux établissements financiers, ne doit pas excéder 25 % des fonds propres nets de l'établissement assujetti. » La réserve des commissaires aux comptes est plus que justifiée et signale clairement une violation de la réglementation en vigueur de la part de la BH Bank.
Redressement fiscal en vue Au vu de ces engagements hors-normes et violant la réglementation en vigueur, la BH risque de faire face à un grand orage en 2025. L'engagement envers M. Ben Romdhane ne sera pas le seul motif. Mme Rachikou et M. Ben Ayed pointent un autre problème dont l'impact sera connu dans les semaines qui suivent. La banque a fait l'objet d'une vérification approfondie de sa situation fiscale portant sur les différents impôts et taxes auxquels elle est soumise et ce, pour la période allant du 1er janvier 2019 au 31 Décembre 2022. La banque a été notifiée le 30 octobre 2024, des résultats de la vérification. La banque a contesté les résultats de cette vérification fiscale et a adressé sa réponse concernant les points soulevés en date du 16 décembre 2024. L'impact définitif a été estimé de façon précise à la date du 17 mars 2025 avant la tenue du conseil d'administration le 27 mars 2025. En couverture des risques y afférents, la banque a constaté les provisions jugées nécessaires. Quel est l'impact précis ? Un mois après l'estimation et trois semaines après la tenue du conseil d'administration, la BH Bank ne juge pas encore utile d'informer les Tunisiens de ce qu'il en est.
Une alerte grave sur les dérives bancaires et l'opacité financière La BH Bank se retrouve au cœur d'une zone de turbulence financière et réglementaire, révélatrice des pratiques bancaires hasardeuses qui continuent de gangréner le paysage financier tunisien. L'affaire Adel Ben Romdhane illustre, dans toute sa brutalité, la faillite des mécanismes de contrôle des risques et la facilité avec laquelle des règles aussi élémentaires que la concentration des engagements peuvent être ignorées par une banque censée donner l'exemple. Plus grave encore, c'est le silence de la BH Bank qui interroge. Trois semaines après son conseil d'administration, aucune communication n'a été faite au public sur les véritables implications du redressement fiscal, ni sur l'exposition réelle liée à l'homme d'affaires en fuite. Dans un pays où la gouvernance bancaire reste un enjeu majeur, ce mutisme est aussi inquiétant que le risque financier lui-même. Il appelle une réaction ferme des autorités de tutelle. Car ce n'est pas seulement la santé d'une banque publique qui est en jeu, mais celle de tout le système financier tunisien.