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Rayan Khalfi : un détenu de 19 ans relance la question de la torture en Tunisie
Publié dans Business News le 05 - 05 - 2025

Vendredi 2 mai 2025 au soir, un post Facebook d'une avocate de Bizerte a fait basculer le pays dans une nouvelle polémique judiciaire. Accusations de torture, démentis officiels, discordances chronologiques, réactions du barreau : en quelques heures, l'affaire Rayan Khalfi a pris une ampleur nationale. Récit d'une séquence qui trouble l'image de la justice tunisienne.

Tout commence le vendredi 2 mai à 22h27, lorsqu'une avocate, Me Rihab Ben Abda Smaali, publie un long témoignage sur sa visite à la prison civile de Bizerte. Elle y décrit l'état alarmant de son client, Rayan Khalfi, 19 ans, détenu depuis trois semaines pour détention de drogue en vue de consommation. La scène est saisissante : marques de coups sur le dos, brûlures de cigarette, hématomes sur tout le corps, propos incohérents, récitation du Coran entre deux accès de détresse.
Face à ce qu'elle identifie comme un cas évident de torture, l'avocate dépose plainte et saisit la Ligue tunisienne des droits de l'Homme.

Une réaction immédiate de la société civile
À peine le témoignage de Me Rihab Ben Abda Smaali publié sur Facebook le vendredi 2 mai à 22h27, les réseaux sociaux s'embrasent. Des centaines de partages, de commentaires, d'indignations en chaîne circulent dans la nuit, jusqu'à occuper, au matin du samedi 3 mai, une place centrale dans les discussions en ligne. Le nom de Rayan Khalfi devient viral. Des avocats, des étudiants, des défenseurs des droits humains, mais aussi de simples citoyens relaient massivement les propos de l'avocate et les images évoquant l'état du jeune détenu.
Au fil des heures, la polémique enfle. Des internautes s'interrogent : comment un élève de 19 ans, incarcéré pour une infraction liée à la consommation de cannabis, peut-il ressortir d'une détention avec des traces de coups et de brûlures ? Pourquoi aucun média ne relaie l'affaire ? Pourquoi aucun responsable politique ne réagit ? C'est cette pression en ligne, nourrie tout au long de la journée de samedi, qui finit par faire sortir plusieurs acteurs institutionnels de leur silence.
C'est dans ce contexte que l'Organisation contre la torture en Tunisie (OCTT) publie, dans l'après-midi du samedi 3 mai, un communiqué intitulé « Crime de torture ». Le ton est grave, l'analyse sévère.
L'organisation commence par rappeler que le jeune homme est âgé de 19 ans, qu'il est en classe terminale, et qu'il devait passer son baccalauréat dans quelques semaines. Elle estime que les faits allégués « dressent un constat alarmant quant à la persistance de pratiques de torture dans les lieux de privation de liberté en Tunisie ». Le texte évoque « une affaire qui, si elle est confirmée, constituerait une violation flagrante des engagements internationaux de la Tunisie et un revers pour l'Etat de droit ».
L'OCTT insiste sur le fait que le crime de torture est imprescriptible et que toute personne impliquée, qu'elle soit auteur direct, complice ou supérieur hiérarchique, doit en répondre pénalement. L'organisation appelle sans détour à l'ouverture immédiate d'une enquête judiciaire indépendante ; l'identification et la traduction en justice de tous les responsables, y compris ceux ayant couvert les faits ; et surtout, la libération urgente de la victime, afin qu'il bénéficie des soins médicaux nécessaires dans un établissement hospitalier public.
Elle conclut en rappelant que l'Etat tunisien reste légalement tenu de protéger ses citoyens, même en détention, et que toute inaction en ce sens « renforcerait l'impunité dans les lieux de détention et entamerait la confiance des citoyens envers l'institution judiciaire ».
Ce communiqué donne à la polémique une dimension officielle : ce ne sont plus seulement les réseaux sociaux qui s'agitent, c'est désormais une organisation nationale de référence, historiquement engagée dans la lutte contre la torture, qui emploie le terme « crime » et qui met publiquement en demeure les autorités judiciaires d'agir.

Le ministère de la Justice contre-attaque
Face à l'ampleur de la polémique née sur les réseaux sociaux et relayée par l'Organisation contre la torture en Tunisie, les autorités choisissent une posture de riposte rapide, plutôt que d'adopter celle de la prudence ou de l'enquête méthodique.
Le dimanche 4 mai en milieu d'après-midi, soit à peine 36 heures après la publication du témoignage de l'avocate, le ministère de la Justice publie un communiqué long et offensif, clairement conçu comme une réponse directe à la polémique en ligne, plutôt qu'une tentative sérieuse d'apaisement ou de clarification, le temps d'enquêter selon les normes et d'en savoir davantage.
Le texte rejette en bloc les accusations, parle de rumeurs mensongères, d'intoxication de l'opinion publique, et accuse implicitement l'avocate d'avoir manipulé les faits. Il assure que dès le 2 mai au soir, le parquet du tribunal de première instance de Bizerte aurait ordonné l'extraction immédiate du détenu pour vérification. Un procureur se serait personnellement rendu sur place, aurait examiné le jeune homme, et rédigé un procès-verbal ne constatant aucune trace de violence ou de mauvais traitement.
Dans la foulée, l'inspection générale des prisons aurait ouvert une enquête administrative parallèle, avec le même résultat : aucun indice de torture.
Le ministère annonce ensuite qu'un juge d'instruction, accompagné d'un représentant du parquet, s'est déplacé à la prison pour mener une autre vérification sur place. Là encore, selon le communiqué, aucune trace de violence n'aurait été détectée.
Enfin, il dénonce la diffusion d'une photo présentée comme une preuve, en précisant qu'il s'agirait en réalité d'une image ancienne, prise en 2017 dans un autre pays, et sortie de son contexte. En guise de conclusion, il annonce que des poursuites judiciaires seront engagées contre les auteurs de ces « allégations mensongères », conformément à la loi.

Le pouvoir tombe dans son propre piège
Mais ce que le ministère semble ignorer, c'est que cette précipitation à « rétablir la vérité » sans attendre les résultats d'une instruction judiciaire sérieuse, ni ordonner un examen médical indépendant, renforce la suspicion au lieu de la dissiper. Car plutôt que de chercher à établir les faits de manière rigoureuse, l'Etat donne le sentiment qu'il cherche à sauver la face, à répondre dans l'urgence à un emballement médiatique, et à reprendre la main sur une narration qui lui échappe.
Cette communication offensive, publiée dans une temporalité manifestement dictée par la pression de l'opinion, va d'ailleurs rapidement se retourner contre ses auteurs. Car les réactions critiques à ce texte ne tardent pas : elles viendront dans la soirée même du dimanche, portées par des magistrats, des avocats et l'Ordre national des avocats lui-même.
Le contre-argumentaire ne convainc pas tout le monde en effet. Dimanche en début de soirée, la magistrate à la retraite Kalthoum Kennou publie une réaction sceptique. Elle pointe une incohérence temporelle : comment le parquet aurait-il pu ordonner l'extraction du détenu et dresser un procès-verbal dans l'heure suivant un post publié à 23h26 ? Comment cette opération aurait-elle pu mobiliser des moyens logistiques, un juge, un agent pénitentiaire et un véhicule, en pleine nuit, sans laisser de trace contradictoire ?
L'avocat Malek Ben Amor en rajoute, sur un ton ironique : « Sur la question de la torture, le ministère ne plaisante pas, machallah… ».
Le lundi 5 mai, le juge Omar Weslati prend position. Dans une tribune bien relayée, il ne commente pas directement le cas Khalfi, mais plaide pour une réforme de la politique pénale tunisienne. Incarcérer des jeunes pour des délits mineurs, sans perspective de réinsertion, selon lui, c'est fabriquer des délinquants. Il appelle à réserver la prison aux crimes graves et à développer les peines alternatives. Un écho direct à la situation du jeune Rayan.

Le barreau sort de son silence
Jusque-là resté en retrait, le Conseil de l'Ordre national des avocats publie à 23h19 le dimanche 4 mai, soit quelques heures seulement après le communiqué du ministère, une prise de position très attendue, à la fois mesurée dans la forme mais ferme dans le fond.
Ce communiqué marque un tournant dans la séquence. Car l'Ordre, souvent considéré comme proche du pouvoir ou du moins prudent dans ses interventions publiques, décide cette fois-ci de désavouer clairement le discours officiel du ministère de la Justice. Sans élever le ton, il démonte méthodiquement plusieurs points du communiqué ministériel.
D'abord, le barreau défend sans ambiguïté sa consœur, Me Rihab Ben Abda Smaali, en soulignant qu'elle a agi dans le strict respect de la loi, en déposant plainte et en alertant le parquet, sans déformer ni publier d'informations fausses, et en se fondant sur des constats directs, faits lors de sa visite au parloir. Le Conseil précise qu'aucune photo truquée n'a été publiée par l'avocate, balayant ainsi une insinuation du ministère.
Ensuite, le Conseil souligne une anomalie procédurale majeure : les constats officiels évoqués dans le communiqué du ministère ont été réalisés sans la moindre expertise médicale, ce qui en diminue la crédibilité. Et si une information judiciaire a été ouverte, comme le mentionne le texte gouvernemental, elle l'a été, précise le barreau, sans audition préalable de la défense, et en violation du secret de l'instruction, puisque des éléments supposément issus de l'enquête ont été communiqués au public avant même sa clôture.
L'Ordre dénonce ainsi un fonctionnement institutionnel irrégulier, soulignant au passage le risque de manipulation de l'opinion publique via des récits officiels délibérément orientés.
Enfin, le Conseil appelle à établir la vérité, mais au terme d'un processus judiciaire complet, et non à travers des communiqués hâtifs. Il rappelle que cette affaire touche à l'image du pays, en Tunisie comme à l'étranger, et insiste sur la nécessité de protéger la dignité humaine, même en prison.
Et surtout, le communiqué se conclut par une déclaration d'engagement fort : le Conseil de l'Ordre se dit pleinement disposé à engager toutes les procédures légales nécessaires pour soutenir l'avocate plaignante, défendre la vérité, et faire prévaloir l'Etat de droit face aux dérives administratives ou judiciaires.
En l'espace de quelques paragraphes, le silence du barreau se transforme en une prise de position symbolique et décisive, qui confère à la polémique une nouvelle légitimité institutionnelle. Ce n'est plus seulement une avocate isolée face au ministère : c'est tout un corps professionnel, pilier de la justice tunisienne, qui interroge les pratiques et les réflexes d'un appareil d'Etat en mode défensif.

L'ombre portée de l'affaire Zagrouba
Ce n'est pas la première fois qu'un cas de torture présumée secoue la justice tunisienne. En mai 2024, l'avocat Mehdi Zagrouba avait été arrêté brutalement à la Maison de l'avocat de Tunis, passé à tabac, hospitalisé d'urgence, puis entendu en état d'épuisement devant le juge.
Les traces de torture avaient été constatées et consignées dans un procès-verbal, mais l'examen médical avait été refusé. Le parquet avait émis un mandat de dépôt sans délai. À l'époque déjà, l'OCTT, des avocats et l'ancien magistrat Ahmed Souab avaient dénoncé les abus et les violations des procédures d'arrestation.

Une justice à deux vitesses ?
En moins d'un an, deux cas documentés de torture présumée ont secoué l'opinion. Deux cas où l'absence d'examen médical, le refus d'enquête indépendante, et la précipitation procédurale posent question.
Ce qui trouble dans l'affaire Khalfi, ce n'est pas seulement la gravité des faits allégués — c'est la réaction officielle précipitée, la délégitimation de la défense, le silence médical, et surtout l'absence de réponses convaincantes sur les incohérences chronologiques.
Rayan Khalfi est toujours détenu. Aucune expertise médicale n'a encore été menée. L'enquête judiciaire est censée suivre son cours.
Mais en Tunisie, une question revient, lancinante : à quoi sert une enquête si ses conclusions sont annoncées avant même d'avoir commencé ?


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