Ce ne sont pas que des noms. C'est une injustice. Une douleur vivante. Nous ne les oublions pas. En ces jours de fête, l'absence comme blessure Comment ne pas penser à eux, en ces lendemains d'Aïd, alors que les familles se rassemblent et que d'autres restent fracturées par l'absence ? Leurs noms, certains vous diront peut-être quelque chose. Vous les avez croisés à la télévision, entendus à la radio, lus dans un journal. D'autres vous sont encore inconnus. Mais tous partagent une même réalité : celle d'être emprisonnés dans leur propre pays, non pour ce qu'ils ont fait, mais pour ce qu'ils sont, ce qu'ils pensent, ce qu'ils osent exprimer. Parmi eux, des journalistes comme Sonia Dahmani, Mohamed Yassine Jlassi, Mourad Zeghidi, Borhen Bsaies. Leur faute ? Informer, commenter, critiquer. Ce qu'on appelle ailleurs la liberté de la presse est devenu ici un délit. Il y a aussi des femmes et des hommes politiques, de toutes tendances : Ghazi Chaouachi, Issam Chebbi, Ridha Belhaj, Jaouhar Ben Mbarek, Ali Larayedh, Abir Moussi, Khayam Turki, Lazhar Akremi, Lotfi Mraihi, Ayachi Zammel, Mondher Ounissi, Lajmi Lourimi, Rached Ghannouchi… Leur crime ? Avoir exercé leur droit à l'opposition. Leurs arrestations ne sont plus des dérapages, mais une méthode. Dès que la critique dérange, la prison guette. Et puis il y a des citoyens engagés et intègres : Ahmed Souab, Shérifa Riahi, Saadia Mosbah, Riadh Ben Fadhel, Chadha Haj Mbarek, Yosri Daly, Mohammed-Ali Aroui, Lazhar Loungo, Abdelhamid Jelassi, Yadh Bousselmi, Mohamed Joo, et tant d'autres. Figures de la société civile, avocats, activistes, fonctionnaires. Tous happés par une machine répressive qui ne distingue plus le criminel du citoyen qui ose s'exprimer. D'autres ont dû s'exiler. Certains ont été condamnés, d'autres attendent encore un procès.
Aucun droit n'est dangereux On peut débattre de leurs idées, contester leurs positions, s'y opposer. Mais le débat d'idées doit rester civique. Crions haut et fort à la face de ceux qui se réjouissent des malheurs de l'autre que personne ne mérite la prison pour avoir pensé, dénoncé ou simplement exercé un droit : celui de s'exprimer, de s'engager, de défendre une cause. Ceux qui crient avec les loups devraient revisiter les manuels d'histoire ; ils nous enseignent qu'ils seront emportés par la prochaine vague. Derrière chaque nom, il y a une histoire. Des enfants privés de leur père ou de leur mère. Des conjoints qui tiennent bon, seuls. Des parents qui vieillissent dans l'angoisse. Et surtout, des corps enfermés, des esprits brisés, des vies suspendues dans des cellules souvent privées de soins, d'avocats, de lumière. C'est toute une société que l'on enferme dans la peur. Et c'est l'Etat de droit que l'on démantèle, pièce par pièce, à coups d'arrestations arbitraires et de procès d'exception. Quand un pays emprisonne ses journalistes, ses opposants, ses avocats, ses penseurs, il ne s'agit plus d'un simple désaccord politique. Il s'agit d'une dérive autoritaire. D'un pouvoir qui écrase les libertés pour mieux se maintenir.
Ce que le pouvoir brise, l'Histoire s'en souviendra C'est une trahison. Une trahison de notre histoire, de nos luttes, de nos rêves de dignité. Une trahison de l'habeas corpus, ce principe universel qui protège chaque être humain contre l'arbitraire : nul ne peut être privé de sa liberté sans un procès équitable, sans justification claire, sans contrôle indépendant. Mais l'histoire nous l'enseigne aussi : de chaque injustice naît une mémoire. Se forgent des récits, des figures, des légendes. En croyant les briser, le pouvoir est en train de forger des héros. La Tunisie les reconnaîtra, demain, comme les témoins de notre époque et les gardiens de nos espoirs. Aujourd'hui, il ne s'agit plus seulement de défendre des noms. Il s'agit de défendre une idée. Celle d'une Tunisie libre, juste et démocratique.