Il en aura fallu des péripéties, des irrégularités et des violations de la justice pour que l'Ordre des avocats daigne enfin répondre et donner signe de vie. Le Conseil de l'Ordre des avocats a publié, le 22 avril 2025, un communiqué dans lequel il dénonce les violations du droit qui ont entaché le procès de l'affaire dite de complot contre la sûreté de l'Etat, ainsi que l'arrestation de l'avocat et ancien magistrat, Ahmed Souab, sur la base d'accusations terroristes. Le Conseil de l'Ordre s'en prend au ministère de la Justice qu'il tient pour responsable de la situation de l'indépendance de la justice et alerte contre la répression des libertés publiques, de la liberté d'expression et de la liberté de la presse, entre autres. Les avocats exigent, enfin, la libération immédiate de Me Ahmed Souab, ainsi que de tous les avocats, journalistes et professionnels des médias poursuivis ou détenus pour avoir exprimé leurs opinions. D'aucuns diront qu'il s'agit là d'un communiqué clair qui prend la défense des libertés et qui dénonce les différentes atteintes faites à la justice tunisienne, particulièrement dans les deux affaires citées, et que c'est là l'un des rôles de l'Ordre des avocats. D'autres diront que l'Ordre des avocats n'est pas un parti politique et qu'il ne peut pas faire plus que publier ce communiqué. Selon eux, les avocats doivent garder une certaine distance et faire en sorte que leurs propos ne puissent pas être instrumentalisés dans des batailles qui ne les concernent pas. Toutefois, nous sommes en droit d'en attendre plus de cette organisation nationale au passé si glorieux.
Silence trop long, réaction trop timide Dénoncer, exiger, tenir pour responsable est le minimum que le Conseil de l'Ordre puisse faire devant tant d'injustice et surtout tant d'abjection. Sous la conduite d'autres bâtonniers, comme Béchir Essid par exemple, nous aurions pu assister à une assemblée générale extraordinaire qui aurait donné lieu à une décision de grève générale, par exemple. Nous sommes en droit d'espérer une action réelle de la part des avocats, qui montre qu'ils ne resteront pas spectateurs devant le délitement de la justice et la mise au ban de figures politiques d'opposition et surtout… de leurs confrères et consœurs avocats. Lazhar Akremi, Karim Guellaty, Ridha Belhaj, Ghazi Chaouachi, Ahmed Souab, Abir Moussi, Sonia Dahmani sont tous des avocats qui se trouvent actuellement en prison ou condamnés pour des motifs fallacieux. N'oublions pas non plus les persécutions et les poursuites dont ont été victimes Ayachi Hammami, Mahdi Zagrouba, Dalila Mbarek Msaddak ou encore Islem Hamza. La justice tunisienne a mis plusieurs avocats derrière les barreaux et a poursuivi des membres de leurs comités de défense. La simple constatation de cette réalité, même avec un soupçon de colère et d'indignation, ne suffira pas à changer la donne et à faire pression sur les autorités. D'ailleurs, les avocats eux-mêmes en ont la preuve, puisqu'il ne s'agit pas là du premier communiqué que leur Conseil publie. Et pourtant, les autorités ont gardé le même comportement envers les robes noires.
L'Ordre face à l'Histoire Si l'on demande au Conseil de l'Ordre des avocats d'en faire davantage, c'est bien parce que le péril est grand. Rien ne peut se construire sans une justice qui jouit d'un minimum d'indépendance, et les avocats font partie des défenseurs de cette indépendance. Sans une justice qui fonctionne, les avocats n'ont plus lieu d'être. Pour que la justice fonctionne, il faut que l'avocat puisse faire son travail sans être lui-même menacé et en pouvant, en même temps, se référer aux textes de loi et avoir l'assurance qu'ils seront respectés. Il ne s'agit pas ici de corporatisme mesquin, qui commanderait aux avocats de ne bouger que quand l'un des leurs est touché, il s'agit ici d'empêcher la justice de devenir un outil du pouvoir en place et de permettre aux citoyens tunisiens d'accéder à une justice respectueuse des droits de chacun. Il s'agit peut-être d'une utopie, mais c'est ce pour quoi les avocats doivent se battre. L'avocatie tunisienne a toujours été en première ligne lors des grandes batailles sociétales de notre pays. Lors du combat pour l'indépendance, lorsqu'il fallait combattre la dictature et défendre les opprimés, lors de la révolution de 2011, les avocats ont toujours été du bon côté de l'Histoire. Ce qui est rassurant, c'est qu'en voyant une grande partie de la 13ᵉ promotion de l'Institut supérieur de la profession d'avocat, diplômée en 2024, se porter volontaire pour défendre leur aîné Ahmed Souab, on peut se dire que la relève est assurée.