Il y a ceux qui marchent, et il y a ceux qui ricanent. Depuis que la caravane Al Soumoud s'est élancée de Tunis pour tenter de briser le blocus de Gaza, les moqueries pleuvent, les critiques fusent, et la mentalité défaitiste refait surface. « Ça ne sert à rien », répètent les experts en inutilité. Il fallait oser. Dans une époque où l'on massacre des enfants sous les bombes, voilà que certains s'acharnent à discréditer ceux qui osent simplement marcher. Il faut dire que cette initiative, aussi modeste soit-elle, a touché là où ça fait mal. Car au-delà de sa portée logistique (quasiment condamnée à l'échec, on le savait tous), elle a frappé en plein cœur du mensonge officiel. Celui des Etats arabes qui prétendent soutenir la Palestine tout en collaborant activement à son étouffement. Celui aussi de certains de nos concitoyens, qui s'empressent de régurgiter les éléments de langage les plus éculés. On parle de « sécurité nationale », de « menace étrangère », de « complot » et d' « ingérence ». Le tout servi avec le sourire suffisant de ceux qui pensent avoir tout compris.
Une solidarité mondiale sous blocus La caravane Al Soumoud ne s'inscrit pas dans un isolement tunisien. Elle fait partie d'un soulèvement global de la conscience humaine. Le voilier Madleen, avec Greta Thunberg et Rima Hassan, a été arraisonné illégalement dans les eaux internationales par l'armée israélienne et les membres de l'équipage séquestrés puis expulsés. La Marche mondiale vers Gaza a vu affluer des militants du monde entier en Egypte – pour mieux se faire refouler, séquestrer, expulser. Des centaines de personnes venues de 52 pays ont été bloquées à l'aéroport du Caire, certaines sans eau ni nourriture, d'autres arrêtées dans leurs hôtels lors de descentes de police. Des militants interrogés, isolés, parfois expulsés. Et pendant ce temps, les Etats dont ils sont citoyens, la France notamment, gardent un silence prudent. Pas de vague, surtout si cela peut froisser les amis israéliens ou les gardiens du canal de Suez. La dictature égyptienne n'a même pas pris la peine de maquiller son mépris. Un communiqué vide, tardif, ignorant jusqu'au nom de la caravane, publié après que le ministre de la Guerre israélien a explicitement demandé qu'on l'empêche d'approcher Gaza. C'est qu'on ne désobéit pas à Tel-Aviv quand on est sous perfusion militaire américaine. Le message est clair, la souveraineté nationale ne vaut que pour refuser l'aide aux Palestiniens, pas pour refuser les ordres d'Israël. Et pour Al-Sissi, cette mobilisation étrangère à sa porte devient dangereuse puisqu'elle l'oblige à choisir un camp, à assumer. Fini le double langage. Trop d'humanité dérange.
Hypocrisie Mais derrière la façade de la dictature égyptienne, c'est tout le théâtre grotesque du monde arabe qui se fissure. Car ce n'est pas seulement l'Egypte qui a failli. C'est l'ensemble de ces régimes autoritaires, engoncés dans leur posture de soutien « indéfectible » à la cause palestinienne, qui se sont vautrés dans leur hypocrisie crasse. Aucun n'a levé le petit doigt pour faciliter le passage de la caravane. Aucun n'a proposé d'approche diplomatique, de médiation, d'ouverture. Silence radio dans le désert du courage politique. Ils se contentent d'envolées lyriques à l'occasion de discours creux et puis plus rien. Derrière le folklore, il n'y a que l'inaction. Derrière les discours, le vide. Car ces régimes ne vivent que pour deux choses : leur propre survie, et le service discret, mais constant, des intérêts occidentaux dans la région. Leur obsession n'est pas de défendre leurs peuples, mais de les maintenir dans l'ignorance, la peur, et l'impuissance. Réprimer, bâillonner, faire taire. Et surtout, éviter à tout prix que l'émotion populaire ne se transforme en action politique. Toute initiative autonome, populaire, transnationale devient une menace. Pas pour Israël, mais pour eux. Car elle prouve que les peuples peuvent encore s'organiser et menacer leurs trônes. Les gouvernements occidentaux, eux, n'ont même pas besoin de faire semblant. Leur complicité avec Israël est assumée, structurée, revendiquée. Ils financent, arment, justifient, relativisent. Ils soutiennent les dictateurs qui les arrangent et ne brandissent la question de la démocratie et des droits humains que quand ça les arrange aussi. Mais ce qui choque davantage, c'est cette duplicité chez ces régimes arabes qui prétendent pleurer Gaza tout en emprisonnant ceux qui tentent de l'aider. Ces satrapes locaux, maintenus en place par des partenariats sécuritaires et économiques, préfèrent sacrifier leur dignité plutôt que risquer de déplaire aux maîtres.
La propagande du renoncement a ses fidèles Cette duplicité, bien sûr, ne s'arrête pas aux chancelleries arabes. Elle ruisselle, se diffuse, s'infiltre dans les esprits. Car à force d'être exposés à la propagande du renoncement, certains finissent par y croire. Et c'est ainsi que, jusque chez nous, en Tunisie, des voix s'élèvent pour condamner non pas les bourreaux, mais ceux qui marchent. Ceux qui refusent de baisser les bras deviennent suspects. Ceux qui osent la solidarité deviennent subversifs. En Tunisie donc, les petits relais du discours officiel s'activent. Ceux qui fustigent Al Soumoud dans les médias ou sur les réseaux sont souvent les mêmes qui s'inquiétaient hier d'un soi-disant grand remplacement démographique. Même logique paranoïaque, même patriotisme en plastique. Comme si la souveraineté consistait à barricader le pays contre toute empathie. Comme si l'humanité était une menace. Or, Al Soumoud et tous les autres mouvements ont déjà gagné. Avant même d'atteindre Rafah – et précisément parce qu'ils ne l'atteindront pas. Cela a mis à nu le double jeu des régimes arabes. Cela a révélé que l'humanité, malgré les murs, malgré la répression, continue à se dresser. Et surtout, elle a montré que l'Etat voyou israélien a perdu la guerre de l'image. Malgré toutes ses campagnes, ses influenceurs, ses lobbyistes, rien n'y fait : le monde voit. Et il voit l'horreur. Qu'on ne s'y trompe pas. Oui, ces caravanes, ces marches, ces voiliers sont des coups de com'. Et alors ? Quand la communication est l'arme principale du bourreau, la contre-communication devient une forme de résistance. Faire du bruit, c'est déjà faire honte. Mettre en lumière, c'est déjà fissurer l'impunité.