Il m'est difficile de me taire aujourd'hui. Architecte de terrain, mais aussi citoyen engagé, j'ai eu l'honneur d'être élu au Conseil de l'Ordre des Architectes en décembre 2011. J'en ai démissionné peu après, lorsque j'ai compris qu'il m'était impossible d'agir sans trahir mes convictions. Depuis, je n'ai jamais cessé d'observer, d'analyser, de défendre ce que représente notre profession. Et je ne peux que constater la gravité de la crise actuelle. Dernièrement, la Cour d'appel a prononcé l'annulation des élections du Conseil national de l'Ordre des Architectes, à la suite d'un recours introduit par deux architectes. Il s'agit d'un acte pleinement légitime dans une démocratie, qui témoigne du fonctionnement normal des institutions. Je tiens à affirmer ici mon respect total pour la décision rendue par la justice, qui a examiné les faits avec sérieux, dans le strict respect du droit. La justice a tenu son rôle. Elle n'a cédé à aucune pression.
Mais cette affaire, aussi légale soit-elle, révèle un malaise plus profond. Elle reflète l'état d'une institution fragilisée, traversée par des tensions internes, où la confiance est rompue. Depuis trop longtemps, l'Ordre ne joue plus son rôle de rassemblement, de protection et de représentation. Il est devenu pour beaucoup un espace opaque, source de découragement plutôt que de mobilisation.
Nombre d'architectes ne se sentent plus écoutés. Ils observent, parfois avec colère, parfois avec lassitude, les divisions, les querelles, les jeux d'influence. Beaucoup se sont détournés de l'Ordre. Ce vide de participation affaiblit toute la profession. Et face à ce vide, les initiatives isolées prennent le dessus, au détriment de l'intérêt collectif.
Je crois pourtant qu'il est encore possible de redonner un sens à cette institution. Mais cela suppose une rupture nette avec les logiques anciennes. Il ne s'agit pas de réorganiser une structure en crise. Il s'agit de la refonder. D'en faire à nouveau un espace ouvert, démocratique, représentatif, vivant.
C'est pourquoi j'appelle à la convocation d'Etats généraux de la profession, indépendants, inclusifs, sans exclusive ni filtre. Un moment de parole partagée, pour réécrire ensemble le projet d'un Ordre au service des architectes et de la société.
Il faut également garantir, dans les faits comme dans les textes, une gouvernance transparente, collégiale, renouvelable, et surtout légitime. Plus jamais une décision importante ne doit être prise dans la confusion ou le repli. Plus jamais une élection ne doit diviser au lieu d'unir.
La justice a fait sa part. Elle a dit le droit. C'est à nous maintenant de dire l'essentiel. De nous relever collectivement. De faire de cette crise une occasion d'éveil. Pour que l'Ordre redevienne ce qu'il n'aurait jamais dû cesser d'être : un levier au service de la pensée architecturale, de l'éthique professionnelle, et de l'avenir commun.
*Ilyes Bellagha est architecte, ancien membre élu du Conseil de l'Ordre (2011) et militant pour un Ordre des Architectes juste, indépendant et vivant