Le 25 juillet 2025, date doublement symbolique pour la Tunisie – fête nationale de la République et quatrième anniversaire du coup de force présidentiel –, s'est déroulé dans un silence assourdissant. Aucune célébration officielle, aucune allocution, aucun geste présidentiel. Une journée qui, dans n'importe quel pays, aurait été marquée par un moment solennel ou festif, mais qui, en Tunisie, n'aura été qu'un jour ordinaire. Le 25 juillet, on allait voir ce qu'on allait voir. C'est ce que nous promettaient les propagandistes et les hystériques du régime. Et finalement, le 25 juillet est passé et il ne s'est rien passé. Pas même une allocution orpheline du président pour nous souhaiter bonne fête de la République ou pour se souhaiter à lui-même « bonne fête du putsch ». Dans tous les pays qui se respectent, une fête nationale est un moment de communion, parfois marqué par des défilés militaires, des réceptions officielles ou des feux d'artifice. Chez nous, rien. Absolument rien. Pas même une rencontre avec un ministre. Kaïs Saïed, qui d'ordinaire convoque ses collaborateurs une à trois fois par semaine, n'a reçu personne ces derniers jours. Son unique activité de la semaine s'est résumée à une audience accordée à l'émissaire américain de Donald Trump. Et basta.
Une mobilisation pathétique À défaut d'un président actif, ses partisans ont tenté de marquer le coup. Mais la scène qui s'est jouée devant le théâtre municipal de Tunis avait tout d'une mauvaise comédie. Quelques dizaines de soutiens seulement – là où les manifestations rassemblaient autrefois des milliers de personnes – se sont rassemblés, brandissant des pancartes proclamant « Nous sommes tous Kaïs Saïed » et « Non à l'ingérence étrangère : la souveraineté nationale est une ligne rouge ». Entre accusations de trahison et hystérie patriotarde, une femme exaltée lançait : « Il a dit non aux USA ! Il a dit non aux traîtres ! Celui qui vend sa patrie la trahit ! ». Puis, changement de décor : au son du mezoued et de la darbouka, les mêmes partisans se sont mis à danser, flyers à la main, dans une ambiance des plus kitch qui tranchait avec la gravité supposée du moment.
Un théâtre municipal transformé en outil de propagande Les vidéos des partisans ont suscité moqueries et indignation. Si la séquence montrant une femme accroupie, en larmes, criant « Mourons, mourons pour que vive la patrie ! Nous ne te lâcherons pas, Kaïs ! » a provoqué un déluge de commentaires sarcastiques, un autre détail a profondément choqué : pour la première fois de son histoire, le théâtre municipal de Tunis a ouvert ses portes pour permettre aux soutiens du président d'accrocher une banderole géante à son effigie. Ce geste est loin d'être anodin. Depuis quatorze ans, ce lieu symbolique de la capitale s'est toujours tenu à équidistance des couleurs politiques, même lors des plus grandes manifestations. Ni pour les martyrs tunisiens, ni pour la Palestine, ni pour aucune cause nationale, le théâtre n'avait accepté une telle entorse à sa neutralité. Que cette exception soit faite pour un portrait présidentiel, un 25 juillet, a été perçu comme une capitulation supplémentaire des institutions face au pouvoir. Sur les réseaux sociaux, les critiques se sont enchaînées. Certains ont dénoncé « une humiliation pour la République », d'autres ont parlé de « théâtre devenu décor de propagande ». Le contraste avec les quelques dizaines de manifestants, brandissant flyers et pancartes, a renforcé le sentiment de grotesque : une scène à la fois folklorique et inquiétante, qui dit beaucoup de l'époque.
Des promesses fracassantes… pour rien À en croire les voix proches du régime, le 25 juillet 2025 devait être un jour historique. Pendant des jours, les figures les plus zélées du « virage » présidentiel ont multiplié les messages enflammés, promettant des « décisions exceptionnelles » qui allaient, selon eux, « changer la face du pays ». L'acteur et propagandiste Atef Ben Hassine, lui, s'était illustré par un message aux accents quasi mystiques : il annonçait un « séisme de mesures », reprenait la célèbre formule présidentielle des « missiles sur leurs rampes de lancement » et évoquait des « décisions douloureuses » visant « l'administration profonde » et ceux qu'il qualifiait de « voleurs et de pillards ». Mais il n'était pas seul. D'autres relais habituels du pouvoir, sur les réseaux sociaux comme dans certains médias acquis à la cause, avaient repris ce récit de la « grande purge à venir ». Certains affirmaient, avec une assurance presque jubilatoire, que le président allait « frapper fort » et « enfin faire tomber les têtes qui freinent le processus du 25-Juillet ». D'autres laissaient entendre qu'une série de réformes spectaculaires allait être dévoilée, voire que des annonces économiques majeures allaient « redonner espoir au peuple ». Bref, tout était en place pour maintenir une population déjà éprouvée dans l'attente fébrile d'un coup d'éclat présidentiel. Et puis… rien. Le 25 juillet est arrivé et il ne s'est rien passé. Pas un mot, pas un geste, pas la moindre mesure. Ceux qui promettaient monts et merveilles se sont retrouvés dans le même silence gêné que le président qu'ils glorifient. Un « jour historique » réduit à une journée ordinaire, où la seule activité officielle de Kaïs Saïed de la semaine restera l'audience accordée à l'émissaire américain de Donald Trump, quelques jours plus tôt.
Un 25-Juillet révélateur Ce 25 juillet 2025 n'est pas seulement une date manquée. Il est révélateur d'une réalité plus profonde : celle d'un pouvoir isolé, de plus en plus refermé sur lui-même, incapable de susciter l'adhésion populaire autrement que par des scènes d'exaltation outrancière. Une fête nationale ignorée, un anniversaire de coup de force passé sous silence, des institutions qui cèdent un à un à la logique de soumission : voilà le tableau d'une République qui se vide de son sens. Qu'un lieu aussi symbolique que le théâtre municipal ait ouvert ses portes pour une banderole à la gloire du président en dit plus long que tous les discours officiels. La neutralité des institutions, patiemment construite depuis des décennies, a volé en éclats ce 25 juillet, au profit d'un culte de la personnalité qui rappelle les heures les plus sombres des régimes autoritaires. Et pendant que le chef de l'Etat reste muré dans son silence, ses partisans se contentent de mezoued et de slogans grandiloquents pour entretenir une illusion de ferveur populaire. Mais l'image reste la même : quelques dizaines de fidèles exaltés face à des millions de Tunisiens indifférents ou moqueurs. Ce 25 juillet restera donc comme un révélateur brutal : celui d'un pouvoir qui promet des séismes et ne produit que du vide, qui s'offre des symboles sans réussir à rassembler, et qui, à force d'isolement, finit par transformer la fête de la République en simple journée ordinaire. Une journée où même le président n'a pas jugé utile de se souhaiter à lui-même « bonne fête du putsch ».