La réhabilitation des places Barcelone et Mongi Bali à Tunis, supervisée directement par le président Kaïs Saïed, illustre à la fois l'importance symbolique des espaces publics et les limites de la gouvernance locale. Ces interventions nécessitent l'implication du chef de l'Etat, non seulement pour leur dimension esthétique, mais surtout pour pallier une démission partielle des autorités locales. L'effet paradoxal de l'intervention présidentielle Cette implication présidentielle a un effet paradoxal : d'un côté, elle est saluée pour son efficacité et sa rapidité ; de l'autre, elle rabaisse le rôle sacré du président, réduit à s'occuper de détails locaux qui relèvent normalement des instances municipales.
Une approche centralisée à double tranchant La réhabilitation est un projet à part entière nécessitant une concertation technique et citoyenne. La centralisation peut produire des résultats rapides, mais elle risque aussi d'échouer faute d'appropriation locale.
Le rôle stratégique du président : résoudre plutôt que contourner La meilleure solution n'est pas de contourner les blocages locaux par l'intervention du président, mais de les résoudre. C'est précisément là que se situe son vrai rôle : mettre en place des mécanismes de coordination, renforcer la gouvernance locale et soutenir des politiques publiques durables.
Comparaison avec les projets de François Mitterrand à Paris Les interventions présidentielles rappellent, à une autre échelle, les grands travaux de François Mitterrand à Paris (Bibliothèque nationale, Pyramide du Louvre, Opéra Bastille). Cependant, les objectifs diffèrent : à Paris, il s'agissait de projets d'envergure nationale et internationale ; à Tunis, ce sont des interventions locales et urgentes. L'objectif reste toutefois similaire : renforcer l'identité urbaine et améliorer l'expérience citoyenne.
Place Barcelone : un cœur urbain retrouvé La place Barcelone a bénéficié d'importants travaux : réfection des trottoirs, plantation d'arbres, modernisation de l'éclairage et installation de mobilier urbain. Le budget avoisine 5 millions de dinars. Les citoyens apprécient ces améliorations, mais la question de la maintenance demeure.
Place Mongi Bali : revitalisation et enjeux sociaux La place Mongi Bali a été repensée pour accueillir des zones piétonnes, des espaces de marché temporaire et des aires de jeux. Le budget est estimé à 4 millions de dinars. Les habitants saluent un espace plus vivant, mais regrettent l'absence de concertation dans la conception.
Vers une approche globale et stratégique Un recensement des places nécessitant une intervention doit être réalisé. Il faut définir des priorités selon l'état des infrastructures et l'impact social. Réhabiliter seulement quelques places isolées ne suffira pas à atteindre l'objectif d'attractivité de la capitale.
Définir une politique urbaine et une méthodologie rationnelle Une stratégie durable passe par : - Un diagnostic précis de chaque espace - Des critères clairs de priorisation - Une planification participative incluant architectes, urbanistes et citoyens - Un suivi et une évaluation des projets.
Le rôle central de l'Ordre des architectes L'Ordre des architectes, aujourd'hui absent de la scène pour des raisons internes, doit retrouver sa force et son rôle dans la planification et la réhabilitation des espaces urbains. Il doit participer aux politiques urbaines, fournir une expertise technique et promouvoir la concertation citoyenne. Son implication permettrait de transformer des interventions ponctuelles en une stratégie cohérente et pérenne.
*Ilyes Bellagha, ancien président de l'Ordre des Architectes de Tunisie, président fondateur de l'association Architectes Citoyens