Alors, drone ou pas drone ? La question est sur toutes les lèvres depuis hier soir, depuis la diffusion des images du navire Family en flammes, partagées par les militants sur les réseaux sociaux, jusqu'au moment de la rédaction de ces lignes. La frustration reste entière. Les organisateurs pointent du doigt un drone — forcément sioniste accuse-t-on — qui aurait ciblé le plus important navire de la flottille, celui à bord duquel se trouvaient notamment Rima Hassan, Greta Thunberg, Yasmina Acar, Thiago Avila et d'autres figures engagées. Des vidéos de caméras de surveillance semblent montrer un projectile ayant atterri sur le navire juste avant l'embrasement. De leur côté, les autorités tunisiennes ont réagi avec une rapidité inhabituelle, s'empressant de qualifier la thèse de l'attaque de « fake news ». « Aucun drone n'a été intercepté », a affirmé la Garde nationale, avançant qu'un incendie accidentel avait pris naissance dans un gilet de sauvetage situé à l'avant de l'embarcation. Un simple incident technique, donc. Mais est-ce vraiment si simple ? Si le récit officiel se veut rassurant, au vu de la charge symbolique de la flottille et de l'histoire du pays avec les attaques israéliennes, il peine à convaincre.
Attaque ou simple incident ? L'enquête ouverte par les autorités tunisiennes est censée faire toute la lumière sur ce qui s'est passé dans la nuit du lundi 8 au mardi 9 septembre 2025. Reste à savoir si cet « incident » sera classé comme un banal accident interne, amplifié par un contexte de tensions extrêmes, ou s'il viendra s'ajouter à la liste des attaques israéliennes sur le sol tunisien. Dans ce cas, il ne ferait qu'accentuer la fierté des militants, galvanisés par l'idée d'avoir réussi à déranger. Ce qui explique l'onde de choc, c'est le lieu : la Tunisie. Un pays déjà marqué par des précédents très tendus avec Israël. Le souvenir du raid israélien sur Hammam Chott en 1985, qui avait fait des dizaines de victimes, ou celui, plus récent, de l'assassinat de l'ingénieur Mohamed Zouari en 2016, plane encore. Ces épisodes, nourissant une mémoire collective encore vive, donnent une autre dimension à ce supposé « incident » et rendent crédible, aux yeux de nombreux Tunisiens, la thèse d'une véritable attaque.
Une communication officielle trop rapide et trop agressive ? La frustration est d'autant plus grande que la réponse du ministère de l'Intérieur a été expéditive. D'ordinaire peu réactives en matière de communication de crise, les autorités tunisiennes se sont cette fois empressées de balayer la thèse de l'attaque, sans chercher à apaiser ni à garder les différentes hypothèses ouvertes le temps de l'enquête. Des communiqués laconiques et expéditifs, rien que pour dire non. Pourquoi une telle hâte ? La question se pose, d'autant que d'autres événements d'une gravité bien supérieure et ayant fait des victimes humaines n'avaient pas suscité une telle célérité de leur part. L'agressivité de la communication autour de l'affaire en dit long. Les proches du pouvoir ont tenu à clore le débat avant même qu'il ne s'ouvre. Le porte-parole officieux du régime, Riadh Jrad, s'est illustré par l'un de ses fameux posts incendiaires, tournant en dérision les militants et affirmant que l'incendie résultait d'une « beuverie » et d'un « barbecue de poissons ». Une tentative claire de discrédit, qui interroge : pourquoi vouloir à tout prix faire taire cette hypothèse ? Est-ce simplement par réflexe de protection d'un régime qui supporte mal l'idée d'une faille sécuritaire sur son sol ?
Entre ombres et symboles Face à cette communication brutale, les militants, eux, persistent. Munis de vidéos de surveillance et de témoignages concordants, ils maintiennent la thèse d'une attaque par les airs. Pour l'heure, aucune certitude n'existe. Seuls les résultats d'une enquête crédible, qu'elle soit officielle ou indépendante, pourraient lever les doutes. Mais viendra-t-elle un jour ? L'histoire récente du pays nous a appris que certaines enquêtes n'aboutissent jamais, qu'elles se perdent dans les méandres de l'administration ou qu'elles sont enterrées pour ne pas déranger. En attendant, l'incident attire sur Tunis une attention mondiale inattendue. Après l'élan de fierté qui a traversé les Tunisiens à l'idée de participer à un mouvement porteur d'humanité et de justice, l'épisode d'hier projette à nouveau le pays au centre du jeu. « Tous les regards doivent être tournés vers Gaza », avait insisté Greta Thunberg dans son discours dimanche. Mais, ironie du sort, c'est aujourd'hui Tunis qui cristallise ces regards.