Comment la presse doit-elle traiter ce qui s'est produit ce lundi 8 septembre 2025 au large de Sidi Bou Saïd, lorsqu'une des embarcations de l'« Flottille de la liberté » a été frappée par un incident aussi spectaculaire qu'inexpliqué ? Depuis la soirée, la question obsède les réseaux sociaux et les rédactions : y a-t-il réellement eu une attaque par drone, comme l'affirment certains participants, ou ne s'agit-il que d'un banal accident, comme le prétend le ministère de l'Intérieur ? Les témoignages recueillis parlent d'un « objet enflammé tombé du ciel », suivi d'une explosion et d'une panique générale à bord. Des vidéos diffusées en ligne renforcent ce récit : on y distingue nettement une boule de feu chutant à la verticale, puis un éclair et une détonation. Rien ne permet de confirmer s'il s'agissait d'un missile, d'un drone, d'un fragment pyrotechnique ou simplement d'un matériau en combustion tombé par hasard. Mais les passagers sont unanimes : quelque chose d'anormal et d'inquiétant est survenu. L'impression laissée par ces images est suffisamment forte pour empêcher toute banalisation de l'incident.
Une version officielle expéditive À l'opposé, la version officielle est limpide : « une veste de sauvetage a explosé », sans aucune implication sécuritaire ou politique. Selon les premières expertises, l'origine de l'incendie serait liée à l'embrasement d'un briquet ou d'un mégot de cigarette. Mais ce démenti, formulé avec une célérité surprenante et sans annonce d'enquête technique, laisse sceptiques nombre d'observateurs. Comment expliquer aussi rapidement un événement aussi grave sans analyse des débris, sans expertise indépendante et sans transparence ? Ce réflexe de minimisation donne l'impression que le but n'était pas d'informer, mais de désamorcer la polémique avant qu'elle ne s'installe. Ce type de communication n'est pas nouveau. Les autorités, en Tunisie comme ailleurs, cherchent souvent à écarter les hypothèses sensibles pour éviter l'embarras diplomatique ou la panique intérieure. Mais l'histoire regorge d'exemples où des explications officielles hâtives se sont effondrées face aux faits. L'attaque de Hammam Chott en octobre 1985 par l'entité sioniste, menée depuis des avions ayant survolé l'Europe dans un silence complice, reste un cas d'école. De même, l'assaut meurtrier contre le navire turc « Mavi Marmara » en 2010, d'abord présenté comme un acte de légitime défense, s'est révélé être une opération préparée de longue date, avec des intentions parfaitement assumées par la suite.
L'ombre persistante de l'entité sioniste Ces précédents démontrent que l'entité sioniste n'a jamais hésité à frapper loin de ses frontières, par air ou par mer, en niant toute implication directe. Laisser l'incident de Sidi Bou Saïd dans une zone grise de non-dit et de dénégation ressemble trop à ce modus operandi pour être écarté d'un revers de main. Dès lors, l'hypothèse d'un drone ciblant une flottille pro-Gaza n'a rien de farfelu. Elle s'appuie sur un long historique d'opérations menées dans la discrétion, parfois sans revendication, mais toujours lourdes de conséquences. D'autant que l'embarcation touchée n'était pas un simple bateau de plaisance : elle faisait partie d'une initiative humanitaire et politique, hautement symbolique, visant à briser le blocus de Gaza.
Une vérité encore suspendue Faut-il en conclure que l'incident de Sidi Bou Saïd est une attaque planifiée ? Non. Mais affirmer qu'il s'agit simplement d'une « cigarette mal éteinte sur une veste » relève d'une naïveté confondante, pour ne pas dire d'un mépris de l'opinion publique. Les récits des témoins, étayés par des images, ne peuvent être balayés d'un simple communiqué ministériel. La vérité reste suspendue à une enquête indépendante, technique et transparente, débarrassée des pressions politiques et diplomatiques. Car l'enjeu dépasse l'anecdote : il touche à la souveraineté, à la sécurité nationale et à la crédibilité d'un Etat qui ne peut se contenter de dénégations rapides. Pour la presse, l'attitude responsable n'est pas de répéter servilement les communiqués officiels ni de se faire l'écho aveugle de témoins choqués. Elle consiste à replacer l'événement dans son contexte, à questionner les récits, à rappeler les précédents, et à exiger la vérité, même si elle dérange. En attendant, une certitude demeure : la version officielle est trop fragile pour convaincre, et celle des témoins trop solide pour être ignorée.
*Fahem Boukaddous est secrétaire général du Syndicat national des journalistes tunisien Texte original en arabe, traduction Business News (avec IA)