Il y a sept ans, presque jour pour jour, la Tunisie faisait figure d'exception dans la région. Le 9 octobre 2018, le Parlement adoptait, à une large majorité, la loi organique n°2018-50 relative à l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Un texte pionnier, fruit d'un long combat mené par la société civile, en particulier par les associations œuvrant pour la dignité et les droits des citoyens noirs tunisiens et des migrants subsahariens. Cette loi, première du genre dans le monde arabe, criminalise toute forme de distinction, d'exclusion ou de restriction fondée sur la couleur, l'origine ou l'appartenance ethnique. Elle prévoit des sanctions pénales contre les auteurs d'actes ou de discours racistes. Ce soir-là, dans l'hémicycle du Bardo, Saadia Mosbah, présidente de l'association M'nemty, fondait en larmes. Des larmes de joie et de soulagement, après des années de plaidoyer acharné. Le texte était adopté avec 125 voix pour, cinq abstentions et une seule contre. Un moment qualifié alors d'historique — celui d'une Tunisie progressiste, consciente et résolument tournée vers l'universalité des droits humains.
Mais sept ans plus tard, le symbole s'est mué en tragique ironie. Saadia Mosbah, figure du combat antiraciste, croupit aujourd'hui en prison, aux côtés d'autres militants associatifs engagés dans l'aide humanitaire aux migrants. Cela fait plus d'un an qu'ils sont incarcérés, accusés d'avoir facilité l'installation de migrants en situation irrégulière. Leur tort, selon la version officielle, serait d'avoir participé à un prétendu "plan de remplacement démographique" — un narratif d'extrême droite, adopté sans complexe par le pouvoir tunisien en pleine crise migratoire de 2023. Ce discours du "grand remplacement", érigé en vérité d'Etat, avait servi de détonateur à une vague de haine et de violences racistes. Les agressions, les expulsions arbitraires et les campagnes de dénigrement contre les personnes noires s'étaient multipliées, dans une indifférence quasi générale. Ironie du sort, cette haine aurait dû être sanctionnée par la loi de 2018 — cette même loi dont la Tunisie se vantait alors comme d'un progrès civilisationnel. Mais dans le pays qui a été pionnier dans la région pour avoir criminalisé le racisme, le racisme reste impuni. On nous avait pourtant promis qu'il n'y aurait pas de retour en arrière. Pourtant, l'histoire semble s'écrire à rebours.