Il s'appelle Naguib Sawiris et se classe au soixantième rang des plus grandes fortunes mondiales avec un patrimoine de 12,7 milliards de dollars. Ce polytechnicien égyptien de 55 ans ne doit sa fortune ni au pétrole, ni au gaz, mais aux télécommunications. Sawiris est implanté dans une bonne dizaine de pays de par le monde dont la Tunisie où il possède, via son entreprise Orascom, 50% des parts de l'opérateur GSM privé Tunisiana. Grâce à une licence qui lui a été octroyée en 2002, Sawiris a réussi à faire de Tunisiana une des plus grosses entreprises tunisiennes. En 2008, elle a été classée 9ème entreprise tunisienne (et 1ère entreprise privée) de par son chiffre d'affaires de près de 864,4 millions de dinars. En 2009, tous ses chiffres sont au vert avec une croissance de 11,6% de son CA et de 22,4% de son parc d'abonnés. Reste que ces chiffres, aussi bons soient-ils, ne présagent en rien de l'avenir de l'entreprise. Et de cet avenir, nul ne peut dire sérieusement s'il est radieux ou moribond. Les raisons sont liées au manque de visibilité de la stratégie de l'opérateur. Et ce manque de visibilité n'est pas lié à des questions de management ou de technicité des ressources humaines (au contraire), mais à la stratégie incompréhensible de Sawiris, titulaire de la licence et actionnaire de référence de l'opérateur. Depuis près d'un an, on ne parle que de l'introduction en bourse de Tunisiana. Certains ont même publié qu'elle sera doublement cotée sur la bourse de Tunis et de Paris. Plus d'une fois, et à plusieurs reprises, on a dit que cette introduction était imminente. Au gré des jours, et des déclarations des actionnaires de Tunisiana, on lançait des chiffres concernant la part qui sera introduite. Certains ont dit 30%, d'autres 20% et aux avant-dernières nouvelles, on nous dit que la part du capital qui sera introduite sur la bourse de Tunis (et nulle part ailleurs) ne dépassera guère les 15% de Tunisiana. On dirait un souk. Nous n'en sommes pas loin, car au moment où tout le monde attendait l'annonce officielle de l'introduction, voilà qu'une information fuitée depuis l'Afrique du Sud, fait part de la volonté de l'opérateur local MTN d'acquérir des actifs d'Orascom en Afrique. Et Tunisiana figure parmi les actifs visés par le sud-africain et actuellement négociés avec les équipes de Sawiris. Les observateurs les plus avisés ne peuvent que s'interroger de telles démarches. Ca n'inspire confiance, ni à la bourse, ni à l'Etat dont le feu vert est incontournable dans toute transaction touchant l'actionnariat. Pendant que les équipes tunisiennes sont en train de réaliser les études nécessaires relatives à l'introduction en bourse, voilà qu'elles sont surprises d'apprendre, par voie de presse de surcroit, qu'on est en train de négocier « leur vente » à un opérateur se trouvant à des milliers de kilomètres. Doivent-elles arrêter le processus d'introduction, doivent-elles poursuivre, doivent-elles attendre ? Le signal donné par leur actionnaire (à 50%) n'est en tout cas pas rassurant. A quoi joue Sawiris, quelle est sa stratégie, veut-il garder ou se débarrasser de l'une de ses meilleures filiales en termes de rentabilité ? Et ce n'est pas uniquement en Tunisie que cette stratégie est incompréhensible. En Algérie aussi, on est incapable de se prononcer sur l'avenir de l'opérateur Djezzy, propriété d'Orascom. Aux dernières nouvelles, Djezzy a été interdit de transférer ses dividendes à l'étranger. Pendant ce temps-là, les concurrents de Tunisiana tracent tranquillement leur chemin et planifient leur avenir. Orange est titulaire exclusif, pour un an au moins, de la licence 3 G et est propriétaire de la licence de fournisseur de services internet. Tunisie Telecom possède la téléphonie fixe et négocie actuellement le rachat d'un FSI de la place. Et Tunisiana dans tout ça ? Elle n'a ni le fixe ni la 3G et l'Etat ne s'est engagé, ni officiellement ni officieusement, pour lui accorder la licence de les exploiter. Or sans 3G, il n'y a point d'avenir dans la téléphonie mobile. On peut même dire que sans internet à haut débit, il n'y a point d'avenir radieux dans la téléphonie mobile. Et dans cette téléphonie mobile, Tunisiana n'en possède que la deuxième génération. Certes, cette deuxième génération lui permet, au jour d'aujourd'hui, d'avoir de confortables revenus et parts de marché, mais demain ? Non seulement, l'opérateur GSM ne sait pas de quoi ce lendemain sera fait, au vu des licences qu'il ne possède pas, mais il ne peut, de surcroit, rien planifier puisqu'il n'a pas de vision claire sur la stratégie de son actionnaire de référence. C'est fort regrettable pour un opérateur qui emploie 1500 personnes à la compétence plus qu'avérée. De la haute compétence pour une grande partie d'entre-elles. Il est évident que ces 1500 compétences tunisiennes ne seront pas jetées à la rue. On doute fort que l'Etat s'oppose à l'introduction en bourse ou à la cession de Tunisiana au profit de MTN. N'empêche. La manière avec laquelle opère Sawiris n'est guère rassurante et manque totalement de clarté. Or c'est ce qu'exècre le monde du business : le manque de clarté pour l'avenir. L'absence de visibilité. Attitude fort étrange de la part de la soixantième fortune mondiale qui a la réputation de détester les échecs, mais semble adorer faire durer le suspense.