A l'instar du Caire, de Damas et de Sanâa, Tunis aura-t-elle ses « vendredis » avec leurs manifestations et rassemblements sous les appellations redondantes dont notamment le «Vendredi crucial », le « Vendredi de la victoire », le « Vendredi de la colère »… ? En effet, c'est ce dernier qualificatif qui a été choisi pour ce vendredi du 14 octobre 2011, par des milliers de manifestants qui ont bravé l'état d'urgence pour exprimer leur colère contre la diffusion du film Persépolis par Nessma TV. Le « vendredi de la colère » contre Nessma TV et annoncé massivement sur Facebook, a rassemblé une très grande foule. Quelques milliers de manifestants, essentiellement des hommes (dont beaucoup portaient la barbe), mais des femmes aussi (dont certaines en niqab) y ont pris part à cette manifestation. Un rassemblement, certes très bruyant, spectaculaire, mais qui, à aucun moment, n'a débordé. Vers 13h, après la prière du vendredi, une marche a pris le départ de la mosquée El Fatah en direction de Bab El Khadra et Bab Souika, en passant par l'avenue de Londres. Les accès à l'avenue Habib Bourguiba ont été bloqués par les forces de l'ordre. La Place de la Kasbah a, également, était quadrillée. Le pavillon islamique noir et blanc et sur lequel est écrit la proclamation de foi musulmane a été brandie, ainsi, qu'un drapeau tendancieux voulant créer l'amalgame et la confusion entre le logo de la chaîne de télévision Nessma et le drapeau israélien ! Les manifestants ont, ensuite, avancé sur les cris stridents d' « Allahou akbar », « le peuple est musulman et n'abdiquera pas », « le peuple veut un Etat islamique », etc. A un moment donné, des sympathisants du parti Tahrir auraient tenté de se rallier à la marche, criant des slogans appelant à l'instauration du « califat islamique », mais cela a provoqué la désolidarisation de plusieurs manifestants qui ont quitté, sitôt, le cortège. Dans le même temps, des policiers ont été mobilisés devant le siège de Karoui & Karoui (Nessma TV) par mesure de sécurité. Les agents de police se sont, toutefois, contentés de faire le guet puisqu'aucune foule ne s'est rapprochée des alentours de ce quartier. A signaler, quand même, que des échauffourées sans gravité, ont eu lieu, au niveau de la Kasbah, de l'avenue 9 Avril, de Bab Lakouès et de Bab El khadhra. La police a utilisé les gaz lacrymogènes pour disperser les manifestants, et la marche a, ainsi, pris fin un peu avant 16 heures. Mais il est à souligner qu'un déploiement impressionnant des forces de sécurité a été constaté dès les premières heures de la journée, notamment au centre de la capitale, tout le long de l'Avenue Bourguiba, la Place de Bab El Jazira, La Kasbah, l'Avenue Mohamed V (au niveau du siège de Nessma)… Il s'agit là de la première démonstration de force des partisans du Parti d'Ennahdha et du mouvement islamiste, en général, qui ont tout fait pour mobiliser leurs sympathisants et exploiter à fond ct épisode de la diffusion du film Persépolis. Cette mobilisation des Islamistes n'est pas surprenante dans le sens où l'opinion publique s'y attendait, mais ce qui dérange le plus, c'est cette attitude mitigée des autres partis politiques qui se sont contentés de publier des communiqués tièdes, et des autorités officielles qui, par le biais du ministères des Affaires religieuses , ont, d'abord, mis en cause la diffusion de tout ce qui touche au sacré avant d'appeler, du bout des lèvres, au bannissement de la violence. Mais là où le bât blesse est cette attitude des hommes de loi, magistrats et avocats. Les premiers, à travers le ministère public, ont tenu à ouvrir une enquête contre Nessma et contre même ceux qui ont prêté la voix au doublage du texte original en dialectal tunisien, et les seconds, au nombre de plus de cent quarante, ont tenu à déposer de nombreuses plaintes contre la même chaîne. Un juriste, avocat de son état et ancien magistrat nous a indiqué que cette manie prise par les avocats de porter plainte, aussi bien pour cette fois-ci que dans de nombreux cas précédents - à tort et à travers et sans dossiers, ni preuves, ni documents justificatifs solides– constitue une entorse à loi dans le sens où ces avocats se substituent au ministère public et s'approprient leurs prérogatives. Là où le bât blesse, aussi, est ce mutisme des moyens d'informations qui, à quelques exceptions près, n'ont pas bougé le petit doigt pour se solidariser avec leurs confrères de la chaîne dont le directeur a été victime des pires intimidations. Sans reprendre la polémique entre ceux qui privilégient la liberté d'expression et de créativité et ceux qui placent le « sacré » au dessus de tout, il y a lieu de s'inquiéter de cette tendance à céder devant la dictature au nom de la religion et du sacré alors que le peuple a fait la révolution pour, justement, se libérer du joug de la dictature. Certes, l'équation et l'équilibre est difficile à trouver, mais toues les parties en présence doivent se mettre en tête qu'on peut protester contre un « dépassement » ou un « dérapage » de quelque nature que ce soit, par des moyens pacifiques. Autrement dit, il est temps de savoir que les temps des idées et des lignes de conduite imposées sont bien révolus. Or, aux dernières nouvelles concernant l'attaque et l'incendie, en ce vendredi soir, du domicile de Nabil Karoui par une centaine d'individus, qui pourraient rester impunis comme lors des cas précédents, la cote d'alerte semble être atteinte et une prise de position claire de la part du gouvernement est à attendre pour remettre de l'ordre avant qu'il ne soit trop tard. Noureddine HLAOUI et Radhouane Somai