Mustapha Ben Jaâfar défraie la chronique. Le président de l'Assemblée nationale constituante, classé parmi les 50 hommes les plus influents du pays par le Magazine Jeune Afrique au début de cette année, suscite de nombreuses interrogations. A la tête de la Constituante, Mustapha Ben Jaâfar est connu pour ses célèbres volte-face et sa souplesse face aux députés du parti « allié ». Ses derniers déboires lui valent une motion de censure de la part d'une trentaine de députés. Une chose est sûre, Mustapha Ben Jaâfar, défenseur du « consensus » a son mot à dire et appose son empreinte dans le paysage politique actuel. Mais constitue-t-il une épine dans le pied de la Constituante ? Le président de la Constituante avait été ferme dans ses déclarations pré-électorales. « Aucun compromis ne sera accepté au détriment de nos principes et nos valeurs citoyennes », une déclaration qui part en déconfiture quelques mois après une « alliance stratégique » avec le parti islamiste qui lui a valu une intronisation à la tête de l'Assemblée. Mustapha Ben Jaâfar n'a pas le beau rôle. Si certains s'amusent à le qualifier de « pantin » d'Ennahdha et à fustiger son attitude « dictatoriale » à la tête de l'Assemblée, aux yeux de ses défenseurs, Ben Jaâfar continue de nourrir de grands espoirs pour la transition démocratique. Mais le président de l'Assemblée semble parfois omettre le fait qu'il est le président de « tous » les députés et a, à certains moments, tendance à arbitrer les débats et les prises de décision en privilégiant une partie par rapport à une autre. La séance plénière de l'Assemblée constituante, du mardi 17 juillet, consacrée au limogeage de Mustapha Kamel Nabli, ancien gouverneur de la Banque Centrale, a été bien houleuse et a suscité bien des polémiques. De nombreux députés, notamment de l'opposition, s'indignent du fait d'avoir été écartés de la prise de décision et font remarquer les nombreux vices de procédures constatés. La demande de révocation du gouverneur de la BCT par la présidence de la République avait été signée par Moncef Marzouki le 27 juin dernier et rendue publique le jour même par les services de la présidence. Mustapha Ben Jaâfar affirme que le bureau d'ordre de l'ANC, n'a réceptionné le document qu'une semaine après, à savoir le 3 juillet. Pour défendre Marzouki, il fallait donc le croire sur parole et peu importe que la forme n'ait pas été respectée par la présidence. Rappelons que, selon l'article 26 de la Loi fondamentale relative à l'organisation provisoire des pouvoirs, cette décision devrait être approuvée par l'ANC dans un délai de 15 jours. Un différend que Mustapha Ben préfère trancher par le vote, comme cela lui a été suggéré par un député d'ennahdha. De nombreux députés crient au vice de procédure. « Un forcing » selon l'opposition qui a provoqué un véritable chaos dans l'hémicycle, des irrégularités qui n'ont pas, pour autant, empêché le limogeage de l'ancien gouverneur. La polémique ne s'est pourtant pas arrêtée là. En effet, avant même que Nabli ne soit limogé, Mustapha Ben Jaâfar et Hamadi Jebali, contactent Chedly Ayari pour lui proposer le poste de gouverneur. Cette annonce a immédiatement déclenché la colère de députés de l'opposition. La lettre de nomination du nouveau gouverneur étant datée du 11 juillet alors que l'Assemblée n'avait officiellement approuvé le limogeage de Nabli que le 18 juillet. Ben Jaâfar s'explique affirmant que Marzouki avait signé à l'avance le document en raison de son absence prévue du pays. En bref, il justifie l'injustifiable par tous les moyens, contre vents et marées, contre le bon sens et la légalité. « De quel droit le président se permet-il de nommer un gouverneur le 11 juillet alors que l'autre n'a été démis qu'hier », s'indigne Brahim Gassas, élu démissionnaire d'Al Aridha. En définitive, dans le feuilleton Mustapha Kamel Nabli, le sort de la Banque Centrale avait été scellé bien avant la comparution de l'ancien gouverneur devant les Constituants, seuls habilités à juger de son sort. Si Iyed Dahmani précise que ce genre de manœuvre est « digne d'une république bananière », Mustapha Ben Jaâfar soutient de son côté que ce n'est pas du jour au lendemain que nous fonctionnerons comme dans un « parlement scandinave ». « Il y a des problèmes de moyens. Ça va s'installer, ça demande du temps. Il faut appeler des experts, mobiliser les moyens, développer les coopérations », affirmait-il lors d'un meeting tenu à Paris. Rappelons également que Mustapha Ben Jaâfar a expulsé, mardi 17 juillet, les membres de l'AMT officiellement invités à la séance plénière consacrée, notamment, au débat relatif à la création d'une instance judiciaire provisoire. Un « incident » qui a provoqué l'indignation des invités mais également des députés et à la suite duquel 30 députés signent un document pour le retrait de confiance au président de la constituante lui reprochant une « mauvaise administration de l'Assemblée » et « le dépassement de ses prérogatives ». Une « mauvaise administration » mais aussi « un manque de concertation avec les élus » que de nombreux députés pointent du doigt allant même jusqu'à déclarer que « certaines décisions sont prises en solo par le président de l'Assemblée ». Plusieurs députés n'auraient pas été au courant des dates du calendrier relatif aux débats de l'instance électorale et de celle des médias, selon Ahmed Néjib Chebbi, qui déclare « avoir appris ces dates par le biais des médias ». Chebbi regrette également que l'Assemblée perde un temps précieux à débattre de sujets « de moindre importance » alors qu'elle aurait davantage intérêt à se consacrer à l'essentiel. Les lenteurs dans la rédaction de la constituante font également débat. Alors que le premier draft avait été annoncé par Ben Jaâfar pour le 15 juillet dernier, aucun document n'a encore été officiellement proposé et les débats se poursuivent au sein des commissions. La transparence, le président de l'Assemblée se déclare ouvertement contre privilégiant les huis clos. « Je vous le dis, entre nous : s'il n'y avait pas de caméras, on serait peut-être au terme du débat sur la Constitution ». Pour beaucoup, l'hégémonie des députés islamistes sur la prise de décision au sein de l'assemblée n'est pas étrangère à ce « manque de transparence » et à cette « mauvaise administration ». Dans la Troika, « Il y a forcément un déséquilibre au profit d'Ennahdha » affirme en substance Mustapha Ben Jaâfar lors d'une interview accordée au JDD. « S'il y a des tendances hégémoniques ici où là, il y a un bon esprit qui règne dans ce partenariat. Cela s'améliore même de jour en jour ». « Notre réussite est liée à notre capacité à préserver l'esprit de consensus. ». On accuse souvent Mustapha Ben Jaâfar de céder du terrain au parti islamiste et d'y trouver son compte. Si des proches d'Ennahdha affirment qu'il serait promu pour être le candidat potentiel aux élections présidentielles de 2013, Ben Jaâfar continue de défendre la théorie de consensus et affirme que « dans ce nouvel exercice, nous faisons de grands pas chaque jour dans cette recherche du consensus permanent ». Un consensus que nombreux voient d'un autre œil. Selon Iyad Dahmani, MBJ serait « politiquement mort et sous assistance respiratoire du parti islamiste ». La tenue du 9ème congrès d'Ennahdha a fait ressortir un Mustapha Ben Jaâfar aux allures de chauffeur de salle et au discours largement islamisé. Le discours pré-électoral basé sur le consensus et le rassemblement a cédé la place à une campagne de séduction du parti islamiste en vue de décrocher un sésame pour le Palais de Carthage. Le président de l'Assemblée, privilégiant les considérations personnelles et partisanes, constituerait-il une épine au pied de la Constituante ?