Aujourd'hui est un jour de fête pour tous les Tunisiens. La fête est nationale et religieuse, puisque nous célébrons, à la fois, la journée de l'Evacuation et celle de l'Aïd El Idha. Une ambiance particulière règne dans toutes les villes tunisiennes : ambiance où se mêlent odeur de foin et senteur d'encens et où les chants religieux s'accompagnent d'échos de l'hymne national résonnant en cette journée qui marque la libération de la Tunisie. Cette année, la fête de l'Aïd ne sera pas célébrée de la même manière dans toutes les familles tunisiennes. Il est vrai que depuis bien longtemps, nombreux étaient ceux qui ne se pliaient pas au rite du sacrifice. Mais cette année les abstentionnistes sont plus nombreux. Ils le font par principe et non par manque de moyens. Beaucoup pensent, en effet, que ce rite a engendré à la Tunisie une perte de devise de taille suite à l'exportation de moutons espagnols et estiment, de ce fait, que mieux vaut boycotter cet aspect de l'Aïd El Idha pour n'en garder que l'aspect convivial. Certains jugent ce rite barbare et s'érigent en Brigitte Bardot locale pour dénoncer la violence dont fait l'objet le mouton en ce jour de fête, assimilant le sacrifice à un génocide et omettant ainsi que des génocides de ce genre se produisent tous les jours dans tous abattoirs du monde. D'autres ont préféré ne garder de cet aïd que son aspect festif, par paresse, évitant ainsi tout l'effort culinaire que le rite du sacrifice engendre. Cependant, et cela permet d'équilibrer les tendances, la majorité des familles tunisiennes ont célébré cette grande fête musulmane à la manière de nos grands parents, s'ancrant ainsi dans nos habitudes culinaires et culturelles et cherchant à perpétuer des us et coutumes propres à notre pays et à les transmettre aux jeunes Tunisiens pour que de telles traditions ne se perdent pas au fil des ans. Cette année, l'aïd a coïncidé avec la fête de l'Evacuation, une fête nationale importante de par son aspect historique, mais aussi symbolique. L'attachement à la Tunisie, ayant pris une ampleur importante depuis la révolution, et l'état de crise sociale et politique ont accentué l'intérêt du Tunisien pour son histoire. Alors que beaucoup de fêtes nationales n'intéressaient la majorité qu'en tant que jours fériés, elles ont désormais acquis une charge émotionnelle importante. Cette fête a été célébrée d'une manière officielle, hier 14 octobre, soit un jour à l'avance. Les trois présidents à savoir Moncef Marzouki, Mustapha Ben Jaâfar et Ali Laârayedh ont fait le déplacement à Bizerte pour commémorer ce jour important de l'histoire tunisienne. Mais la commémoration était sans âme, comme l'étaient celles de Ben Ali avant la révolution. Seuls les protagonistes ont changé. Ils ne sont plus un, mais trois, trois politiciens controversés que beaucoup aimeraient faire évacuer afin de libérer le pays d'une imposture politique qui a enfoncé la Tunisie dans une ambiance cinglante et sanglante. Coïncidant cette année avec la fête de l'Evacuation, le jour de l'Aïd est aussi vécu comme une fête des morts de la patrie, une sorte de Toussaint qui nous permet de ne pas oublier ceux qui se sont sacrifiés pour cette terre. Une célébration qui nous rappelle que les assassinats politiques ont sévi il y a peu, faisant couler le sang de Chokri Belaïd et de Mohamed Brahmi. Une fête qui fait forcément revenir à la surface le souvenir amer d'une soirée de ramadan où on a appris que de jeunes soldats ont été égorgés par des meurtriers qui courent toujours. Une fête qui nous rappelle une vidéo récente où l'on voit un individu se disant disposé à sacrifier un homme politique à la place d'un mouton, nommant expressément le leader politique, Hamma Hammami, et qui nous rappelle par la même que la violence continue et que continue l'impunité avec. Aïd et fête de l'Evacuation s'assemblent pour raviver notre « tunisianité », pour ressusciter sentiment national et identité culturelle, pour faire revenir le Tunisien à ses habitudes ancestrales et pour faire renaître une fierté qui nous aidera à avancer car les héros qui ont libéré nos terres des colonisateurs ne peuvent qu'avoir enfanté des héros en devenir.