C'est la guerre à Nidaa Tounes. Le parti paie le prix de son caractère hétéroclite et des luttes intestines semblent sur le point de le mettre à genoux. Deux principales raisons à cela : la première est l'hétérogénéité de sa composition idéologique et politique, la deuxième est sa décapitation après la victoire aux élections. Béji Caïd Essebsi, devenu président, a privé le parti de ses cadors, qu'il a emmené à Carthage. Aujourd'hui, la situation est critique et le parti est au bord de l'implosion. Si la crise par laquelle passe Nidaa Tounes n'est pas surprenante, elle a, récemment, pris une nouvelle tournure. En effet, dans un communiqué paru dimanche 8 mars 2015, une majorité de députés de Nidaa Tounes, s'élevant à 64 députés, 60 membres du bureau exécutif et 24 coordinateurs régionaux, ont décidé de boycotter le comité constitutif du parti et de ne pas reconnaitre ses décisions. Des échanges houleux s'en sont suivis, par médias interposés, entre les deux parties et un nouveau communiqué a été publié hier soir pour tenter de désamorcer la crise. Le comité constitutif réuni y annonce la tenue du congrès, longtemps reporté, à juin 2015 ainsi que la tenue du conseil national les 18 et 19 avril prochain.
Plusieurs facteurs ont ébranlé la situation, déjà précaire, du parti fort des législatives. Le fait que ses principaux dirigeants soient passés à Carthage y est pour beaucoup dans la crise actuelle. En effet, Mohsen Marzouk, Ridha Belhaj, Rafaâ Ben Achour et à leur tête Béji Caïd Essebsi ne soient plus à la tête du parti a favorisé l'éclatement des différences et des divergences. En effet, fondé sur la personnalité même de Béji Caïd Essebsi, le parti a beaucoup souffert suite à l'élection de son homme fort à la magistrature suprême. Le parti prouve, ainsi, qu'il est la formation politique d'un seul homme. Une formation qui lui a permis de réussir son ascension au Palais de Carthage, mais qui semble avoir perdu ses repères, ainsi que sa mission première, après le départ de son fondateur. Cette ascension, conjuguée à celle des grands ténors du parti, a eu raison de la rupture d'une cohésion déjà fragile.
Le parti souffre également d'un autre problème, celui de l'absence de structures claires vu que Nidaa Tounes n'a pas encore tenu son premier congrès. La tenue du premier congrès du parti qui servira à l'élection de son bureau politique n'a cessé d'être reportée, et ce, pour la troisième fois consécutive faute de consensus. Une absence de consensus qui fait que les membres du parti s'entredéchirent, à coups de déclarations incendiaires et de communiqués, pour prendre le pouvoir au sein du premier parti de Tunisie. Bochra Belhaj Hmida, députée de Nidaa Tounes, a bien résumé la situation en disant que le parti était sur le point d'imploser. Dans une intervention sur Mosaïque FM le 9 mars 2015, elle a rappelé les dirigeants de Nidaa Tounes à la raison en leur demandant de cesser de régler leurs comptes par médias interposés.
Les différends semblent se cristalliser autour de la question de la légitimité du conseil constitutif du parti. Plusieurs voix estiment qu'il est nécessaire de former un bureau politique. Ces voix comprennent une majorité des élus du parti à l'assemblée ainsi qu'une majorité appartenant au bureau exécutif du parti. « Malgré cela, aucune réponse » indique Khemaïes Ksila. Ils reprochent au comité constitutif du parti de ne pas avoir su, entre autres choses, « gérer la victoire électorale, établir des relations viables avec les différents organes régionaux du parti et trouver une solution consensuelle à la crise de leadership que traverse le parti » d'après le texte du communiqué proposé à la signature des élus, des membres du bureau exécutif et des coordinateurs régionaux.
On reproche également à certains membres du comité constitutif d'avoir fermé la porte devant Mohamed Ennaceur, président par intérim du parti, Mohamed Fadhel Ben Omrane, président du bloc parlementaire et Hafedh Caïd Essebsi, chef des structures du parti. Des personnalités qu'on juge pas assez « légitimes » pour faire partie du comité constitutif du parti ou de son bureau politique. Les frondeurs de Nidaa Tounes demandent que le comité constitutif se dissolve et rejoigne cette mouvance réformatrice au sein du parti.
De l'autre côté, Lazhar Akermi, porte-parole officiel du parti, s'est fait l'avocat de son comité constitutif. Etant lui-même membre de ce comité, Lazhar Akermi estime que la fronde menée contre « la seule structure légitime du parti » revient à dissoudre Nidaa Tounes. Il n'a pas hésité à qualifier la réunion des élus avec les coordinateurs régionaux tenue hier au siège de Nidaa Tounes de putsch. Ceci a eu lieu lors d'un échange musclé entre Lazhar Akermi et Khemaïes Ksila le 9 mars sur les ondes de Shems FM. Le porte-parole officiel du parti ne s'est pas arrêté en si bon chemin et a qualifié les manœuvres du courant réformiste de « tentatives pour casser le parti » ajoutant « qu'ils savent qui est derrière et dans quel objectif ».
Plusieurs personnalités dérangent au sein de Nidaa Tounes. Outre le patron de Nessma, Nabil Karoui, l'homme d'affaires véreux Chafik Jarraya, qui s'est récemment annoncé comme étant un « militant de base du parti », Hafedh Caïd Essebsi, fils de BCE, est rejeté par une grande frange de Nidaa Tounes. Fils de l'homme fort du parti, HCE n'est pas connu pour avoir un passé politique à son actif. Rejeté par le lobbying interne de Nidaa Tounes, on a longtemps soupçonné l'enfant prodigue de risquer une implosion au sein du parti de son père. Deux élus démissionnaires de Nidaa à l'ARP l'accusent aujourd'hui de « manœuvrer en coulisses » et de fomenter même, selon certains, un forcing au prochain congrès prévu pour juin prochain.
Si le forcing de Hafedh Caïd Essebsi aura mis un sérieux coup de pied dans une fourmilière déjà infestée, n'est certes pas l'unique raison derrière la crise qui secoue Nidaa Tounes aujourd'hui. Le parti constitué d'un capharnaüm de tendances politiques et idéologiques s'est longtemps appuyé, pour trouver une cohésion éphémère, sur la personnalité même de Béji Caïd Essebsi. Sauf que BCE, homme à vouloir gouverner seul, ne s'est pas contenté d'abandonner un parti confronté à la délicate mission du pouvoir, il l'a aussi privé de ses plus puissantes bases. Grossière erreur ou fin de mission pour un parti qui a accompli sa raison d'être, à savoir, conduire son président vers le poste tant convoité? Marouen Achouri & Synda Tajine