La crise vécue actuellement par la compagnie des Phosphates de Gafsa (CPG) n'est pas un secret. Elle n'est aussi pas née d'hier. Depuis le 5 mai, les portes de la Compagnie nationale ont été déclarées closes, les réserves de phosphates sont au plus bas et la production est à l'arrêt total. La crise de la CPG vient de connaître un nouveau tournant cette semaine avec l'annonce, mardi 5 mai, de la suspension immédiate de toutes les opérations financières de la compagnie. Un communiqué émanant de la section régionale de Tunis des mines du nord (UGTT), a justifié cette décision extrême par « l'absence de revenus due à l'arrêt de production dans toutes les unités de la CPG », ainsi que « l'indifférence totale des responsables ». Mais si le syndicat appelle le gouvernement à sortir de son silence et à « agir d'urgence » afin qu'un climat social saint soit, de nouveau, instauré, il faut savoir que cette situation n'est pas née d'hier.
En effet, depuis la révolution de 2011, la situation de la compagnie n'a pas cessé de se dégrader. Des marchés ont été perdus, notamment à l'international, et la productivité a baissé de 39%. Derrière cette crise, une effervescence de mouvements de protestation, de grèves et de sit-in animés par la centrale syndicale. La Compagnie de Phosphate de Gafsa a été, en réalité, l'une des compagnies nationales les plus touchées par les grèves. Les sites de Metlaoui, Redeyef, Oum Laârayes et Medhilla ont connu une multiplication de protestations organisées par de jeunes chômeurs de la région, bloquant les circuits de transport et d'approvisionnement en eau courante.
En 2015, la production de phosphate à Gafsa a enregistré un recul pour le moins inquiétant. Selon les statistiques préliminaires élaborées par la direction du suivi et du contrôle de l'exploitation de la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG), la production a été estimée à 604.000 tonnes, contre 983.000 tonnes un an plus tôt. De l'autre côté, le nombre d'employés de l'entreprise a triplé en quelques années. De 8.000, employés en 2010, la CPG est passée à 30.000 en 2014, alors qu'elle était en pleine crise. Dans ce secteur vital qui est celui des phosphates, la CPG emploie plus 2.500 emplois directs et quelques 4.900 emplois indirects. La compagnie contribue à 3% du PIB national et à 10% du volume des exportations du secteur des phosphates, selon la CONECT. Par ailleurs, la Confédération des entreprises citoyennes de Tunisie a appelé au « sens de responsabilité de l'UGTT pour mettre fin aux surenchères et revendications excessives » et a lancé un message au gouvernement Essid afin de « prendre les mesures urgentes et immédiates pour sauver la CPG pilier de notre économie nationale ».
Toutes les parties s'accordent sur le fait que le dossier de la CPG soit pour le moins compliqué. Avec ce dernier blocage, « l'affaire a pris un tournant dangereux », a affirmé le ministre de l'Industrie, de l'Energie et des Mines Zakaria Hamed, soulignant que les problématiques posées remontent à plus d'une décennie. « Cet arrêt de la production ne peut se poursuivre, dit-il, précisant que le gouvernement doit accorder une extrême importance à cette question ». Un conseil ministériel se tiendra prochainement à ce sujet, annonce le ministre, mais prendra-t-il les mesures réellement drastiques qui s'imposent aujourd'hui ?
En réalité, le dossier de la CGT traîne depuis des années. Les différents gouvernements postrévolutionnaires qui se sont succédé depuis 2011 n'ont pas réussi à prendre les mesures nécessaires pour sauver la compagnie nationale au bord du gouffre. Manque de légitimité électorale ou ministres en postes pour une très courte période, l'affaire de la CPG a été cette patate chaude que les différents gouvernements se sont passés pendant des années. Cette « mollesse » a été pointée du doigt par les politiques. Ahmed Seddik, dirigeant du Front populaire, principal parti d'opposition, a imputé la responsabilité de l'arrêt de l'activité de la CPG à « l'action de bandes organisées » qui auraient, selon lui, tout intérêt à ce que la compagnie nationale soit cédée à des étrangers. « Le gouvernement Essid est également pointé du doigt », a-t-il précisé dans une déclaration à Shems Fm hier. De leur côté, les syndicats se défendent de toute volonté de sabotage et affirment que leur action ne viserait à « protéger » la compagnie et à « préserver le leadership de la Tunisie dans la production du phosphate ».
Force est de reconnaitre que la compagnie est prise en otage par le syndicat depuis 4 ans. Attisés par les syndicats, les riverains multiplient les mouvements de colère dans ce berceau de la révolte de 2008. Certes les mouvements de protestation ne sont pas l'unique raison de la crise que connait la CPG aujourd'hui, mais ils en sont la raison principale aujourd'hui. Le pouvoir actuel, issu d'élections démocratiques, dispose de toute la légitimité nécessaire pour prendre le taureau par les cornes et décider d'un changement qui s'impose à une situation plus qu'urgente. D'ailleurs, le président de la République Béji Caïd Essebsi annoncera ce soir qu'une solution radicale concernant la crise du bassin minier sera effective d'ici une semaine à 10 jours environ. Cette solution pourra-t-elle désamorcer la crise ?