La scène médiatique tunisienne a connu une fin de semaine agitée suite à la publication par la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (HAICA), le 3 juillet 2015, de la copie d'une lettre s'adressant à la radio tunisienne. Cette lettre a été envoyée par le président du Conseil islamique supérieur dans laquelle il fait part de ses réserves sur une émission présentée par l'écrivain et philosophe Youssef Seddik.
Le contenu de cette correspondance portait un jugement pour le moins acerbe sur l'émission de l'écrivain et philosophe Youssef Seddik, l'accusant de porter atteinte au sacré en déformant sciemment le sens du Coran et de la Sunna « dans un style qui rappelle les écrits de Salman Rushdie et de Mohamed Arkoun ». Youssef Seddik serait un apostat selon cette missive.
L'auteur de cette correspondance s'est même permis de suggérer qu'à l'avenir, des membres de son conseil puissent participer dans l'élaboration des programmes culturels et religieux diffusés par la radio. A l'évidence, la HAICA n'a pas tardé à condamner fermement cette tentative d'ingérence dans le travail de la chaîne en visant son indépendance éditoriale, et ne manquant pas de rappeler qu'il était de son ressort, et à elle seule, de juger du contenu des émissions.
La HAICA n'a pas omis de mentionner que c'est à l'instance qu'il fallait de facto adresser n'importe quelle remarque ou réserve quant au contenu des programmes. L'instance insiste sur ce point, en rappelant que le service public médiatique se garde le devoir et la liberté de choisir et traiter ses programmes en toute indépendance et qu'aucune partie ne peut l'influencer ou lui dicter des consignes même en usant de moyens purement suggestifs. Le style menaçant de la lettre n'a également pas échappé à la Haute autorité indépendante, qui a signalé le dangereux parallèle comparant Youssef Seddik à des figures comme Salman Rushdie et Mohamed Arkoun, le premier faisant l'objet d'une fatwa et l'autre étant, entre autre, accusé de déconstruire le Coran.
Ainsi, la HAICA conclut en alertant la présidence du gouvernement quant à la gravité de telles attitudes, qui de plus est, proviennent d'une institution placée sous sa tutelle. Elle pointe ainsi du doigt la nette menace à l'encontre de Youssef Seddik, mettant ses jours en péril surtout connaissant la conjoncture sécuritaire critique, actuellement.
Le 4 juillet, la présidence du gouvernement annonce le limogeage du président du Conseil islamique supérieur, Abdallah Wassif. Les raisons évoquées sont simples: le Conseil supérieur islamique est sous tutelle de la présidence du gouvernement et il était tenu de la mettre au courant de la lettre et de son contenu surtout connaissant les graves accusations qu'elle contient et qui risquent d'avoir des conséquences fâcheuses. Abdallah Wassif avait envoyé cette lettre le 26 juin et n'a averti le chef du gouvernement que le 2 juillet, soit une semaine après les faits. Cette lettre est également subjective et n'engage que son propre jugement : en effet, les membres du conseil ne se sont pas réunis pour enquêter et débattre de ce sujet sensible avant de porter des jugements et des conclusions. Il a aussi outrepassé les prérogatives du Conseil islamique, qui a un rôle consultatif, d'étudier les questions et affaires qui lui seront proposées par le gouvernement et de soumettre des propositions et conseils pour préserver l'identité nationale. Le conseil a aussi pour mission de fixer le programme enseigné à l'université Zitouna ainsi que le programme d'éducation religieuse dans les lycées. Il veille aussi à la préservation des éditions du Coran et à la publication du journal « Al Hadaya ».
Ce conseil, chargé de la religion de l'Etat et de la protection de l'identité nationale, selon le programme d'Ennadha, faisait partie des projets de l'administration Jebali. Son rôle a été défini, toujours, selon le programme du parti islamiste, comme une instance de consultation chargée de se pencher sur les affaires qui lui seraient proposées par le gouvernement. Ses travaux étant ainsi une sorte de veille sur le bon respect de l'aspect religieux, de l'article premier de la Constitution : “La Tunisie est un Etat libre, indépendant et souverain : sa religion est l'islam, sa langue l'arabe et son régime la République.”
Il faut mentionner que ce n'est pas la première fois que le sus-cité conseil est au cœur de la polémique. Discuté depuis le mois de septembre 2012 à l'Assemblée nationale constituante, les députés des partis CPR et Ettakatol, pourtant à l'époque alliés d'Ennahdha au sein de la Troïka, mais aussi les élus du peuple hors coalition au pouvoir, ont exprimé des réserves quant à la formation de ce conseil. On voyait dans sa création une menace constitutionnelle pouvant concurrencer, voire porter atteinte au caractère civil de l'Etat.
Malencontreusement, nous assistons à un énième débat alambiqué et délicat et qui divise encore les Tunisiens, comme à chaque fois quand l'argument religieux est évoqué. Une controverse et une division irrationnelles à l'heure où l'union devrait être l'unique leitmotiv. Entre parties se rejetant mutuellement la responsabilité, le Tunisien lambda ne sait plus où donner de la tête. Mais ce qui est le plus dangereux, est le fait qu'une instance étatique puisse se permettre d'accuser quiconque d'apostasie !